mercredi 19 septembre 2007

Chapitre trois, les reliques du mort.


BO, si tu en as toujours le courage :
Noir Désir, Des Visages, des Figures, l'album entier.
System of a Down, discographie complète. Violent Pornography en particulier.

Au bout de ma première semaine, je prends mes quartiers chez Olivier, bon Samaritain dans un pays qui ne veut décidément pas de moi, puisqu'on vient de rejeter ma candidature hardie pour un poste de rêve qui promettait des épinards dans le beurre, l'argent du beurre, et pourquoi pas, la crémaillère, puisque j'escomptais emménager le plus tôt possible. Je croyais encore, misérable gros-plein-de-rêves, que ça allait être facile. J'aime bien Olivier. On s'est déjà croisés quelquefois sur le centre-ville, lui sirotant gentiment son demi-litre bien mérité et moi, buvant encore timidement un Coca toujours étranger. Il s'est montré très arrangeant pour partager sa chambre avec désinvolture et gentillesse. Et puis, Olivier, c'est cet air indifférent quand je l'appelle en bas d'une rue que je ne connais pas, accompagné de mon sac et du froid bruineux, qui m'indique la route. "Tu vois le take away ? Ouais, bon, tu prends la rue qui monte sur la gauche. T'es plus très loin. Tu m'appelles quand tu arrives au feu." Le froid et mon sens de l'orientation qui tient plus du pigeon que du voyageur me font craindre le pire. Je me suis déjà perdu dans Dublin de nuit, mais jamais avec mes 15 kilos syndicaux sur l'échine. Olivier, c'est quand deux minutes après l'air indifférent, il m'appelle, soucieux :"Ca va, tu trouves ? Attends, je viens te chercher." Je ne cache pas mon bonheur de retrouver un bon vieux manteau bleu d'hiver et un bonnet que je commence à connaître en haut d'une rue. Olivier me brieffe sur ses colocataires que je ne manquerai probablement pas de rencontrer : Il y a Helena, espagnole de carte d'identité, catalane du coeur, barcelonaise du foot, Adam, premier homme, polonais énigmatique a l'allure d'ancien du KGB, lui êtrrrre venu trrrrouver rrrrefuge ici en Irrrrlande parrrrce que moi rrrrrecherrrché dans pays, qu'Olivier n'aime pas depuis qu'il se révèle que cette pauvre pomme d'Adam ne connaît que huit mots d'Anglais malgré déjà deux années passées ici. Il y a "I want coffee", et "you tidy living rrrroom" aux "r" roulés comme dans le discours du premier pape venu, quand Olivier se livre méthodiquement à un génocide de chips dont il creuse les charniers dans la moquette élimée et vieille.
Et puis il y a deux colocs slovaques invisibles, qui bossent la journée, bossent la nuit, et parfois, dorment dans leur chambre. Olivier déshabille hardiment Paul (le canapé du salon) pour habiller Pierre (c'est le nom de ma couchette), et me voici installé au pied de son lit, sur un matelas Edition spéciale Coussins de Canapé. Me voici également en route pour, je ne le sais pas encore, trois semaines menées tambour battant aux côtés d'Olivier et de sa folle équipée sur les trottoirs dublinois, le tout dans le froid, parfois sous la pluie, avec son taux d'alcoolémie qui fait roter les alcootests et rire les Gardai, policiers irlandais. Le fait est que j'ai fait Kosovar trois semaines en tout chez lui, et que j'ai passé les nuits des week-ends seul dans sa chambre.

L'alcool agit sur Olivier de la même façon que le Coran agit sur un intégriste catholique, c'est-à-dire qu'il lui efface assez efficacement la mémoire. S'il a les cheveux ras, c'est parce que juste avant le jour de l'an, éthylisé, il a permis qu'on lui rase la tête intégralement et approximativement.

Le premier week-end, Olivier se traîne péniblement dans sa chambre vers 10h du matin et ne me réveille même pas, puisque, ne connaissant pas encore le dinosaure et m'inquiétant facilement, je ne dormais que d'une oreille distraite. Olivier marmonne de sa voix suraigue et cassée qu'il ne se souvient pas de grand-chose, et j'apprends avant l'extinction temporaire du système qu'il rentrait chez lui et que son regard flouté s'est posé sur un matelas qui l'appelait doucement, caché sous une avancée d'immeuble le long du trottoir. Ne résistant pas à l'appel de cette sirène délicieuse et, il faut bien l'avouer, séduisante, Olivier a dormi sur le matelas en pleine rue pour ne retrouver que son esprit (en a-t-il plus d'un à ce moment de la journée ?) et ramper en direction de sa maison. Je me suis parfois demandé s'il ne s'était pas fait tatouer le plan de Dublin sur le corps. Sous le coude, son adresse, dans le bas du dos, le numéro de la ligne de bus pour rentrer. Le sommeil le gagne environ huit secondes après son irruption dans la chambre, le bonnet toujours en équilibre sur le côté de sa tête. Les week-ends sont consacrés à deux choses : à la visite des amis qu'il s'est faits sur Dublin, qu'ils soient collègues de travail d'IBM ou bien rencontres heureuses du net, et à la dilapidation de son salaire sobrement gagné pendant la semaine. C'est comme ça que je fais la connaissance d'Hocine, de Lucie, de Mickaël, de Rachel, d'Anaïs et d'Hélène. La bande est déjà solidement constituée, gentiment délurée. Je découvre les pubs dublinois et la descente vertigineuse vers les reins d'Olivier. Un soir, il rentre passablement buvard alors que je bouquine. Répondant, plein de fois devenant coutume, à une de ses pulsions, il veut dormir avec sa coloc slovaque qui dort à-côté. Il sort de la chambre, commence à frapper discrètement à 320 décibels contre la porte. Je sors de la chambre en trombe, essaie physiquement de le retenir, le tire par le bras. Il n'en démord pas. Alors j'ai une idée. Je lui dis : "Olivier, tu fous quoi ? Y a une de tes colocs qui dort déjà dans ton lit, viens voir !" Lecteur attentif, me croiras-tu ? Olivier me suit en me disant "Ah ouais ?". Deux mètres plus tard, il arrive devant son lit, a déjà oublié ce qu'il venait y chercher, tombe et s'endort.

Le deuxième week-end, je perds Olivier dans Temple Bar, quartier des pubs. Nous sommes le 25 janvier. Nous fêtons avec des collègues de boulot d'Olivier hermétiquement imperméables dans une joyeuse boîte de nuit, et Olivier est comme un poisson dans de la Guinness. Il n'est pas rare d'ailleurs de le voir commander ses pintes par deux et se trémousser sur la piste de danse, les deux mains prises par deux brunes très moussues. Le collier des heures qu'il enfile tranquillement dans la soirée est balisé par les litres, à l'image des perles minutales (ou minutiennes, je ne sais plus), qu'il enfile avec la même efficacité. Je le vois tendre sa carte bleue pour récupérer du liquide, en gros. De toute façon, il a vérifié avant d'entamer la soirée son compte en banque, son salaire d'environ 400 euros est tombé. Alors qu'Olivier vient de commander deux nouvelles pintes, il cède à la pulsion irrépressible de fumer une cigarette. Pour ça, il nous faut sortir, puisqu'en Irlande, il est désormais interdit de fumer à l'intérieur, pour le plus grand bonheur des non-fumeurs et des chiens policiers. Les portes sont solidement encerclées par d'impénétrables videurs à oreillette. Olivier pose ses meilleures copines, sort les reliques d'un paquet et m'emmène vers la rue. Les deux videurs s'écartent, et nous nous retrouvons sur le trottoir. Olivier allume sa cigarette, tire dessus. Il titube, parle d'une voix suraigue, heurte un plot en acier et commence à entamer une discussion coléreuse avec ledit plot. C'est à ce moment-là que je me rends compte que son entendement est aussi noyé que Jeff Buckley et qu'il va être rigolo à ramener dans sa maison, Hallelujah ! Au moment de rentrer dans la boîte, le videur, rasé mais pas aveugle, dresse le même constat que moi, et lui demande de le regarder dans les yeux, histoire de tester son acuité rétinienne, sans doute. Quand Olivier regarde distraitement le panneau au premier étage, le videur décide qu'il ne peut plus rentrer. L'Irlande et ses videurs qui laissent sortir mais jamais récupérer les sacs et les manteaux restés à l'intérieur, c'est tout un poème... Je négocie en tant que personne sobre pour monter et récupérer les affaires restées en haut, après quoi, on se barre, par la force des choses à oreillettes qui mordent. Je grimpe, préviens ses collègues, récupère son manteau et *argh* son portable, ainsi que son bonnet légendaire. Le temps de redescendre pour équiper le bébé, je me rends compte qu'il a disparu. Je quadrille le quartier, à la recherche d'une silhouette titubante et décharnée, occupée à regarder le ciel, se faire des amis temporaires ou à uriner discrètement au milieu de la rue. Rien. Une heure, puis deux de quadrillage intensif, des appels un peu inquiets passés de son portable, et les avis sont unanimes : "Il a déjà fait le coup, rentre te coucher, il devrait rentrer normalement." Je rentre à pied, espérant de toutes mes forces qu'une fois rentré, je trouverai une bosse sous la couette. Mais en vain (de messe). Je me couche, ne dors pas très bien, avec cet éventail de problèmes qui se déplie entre mon sommeil et ma conscience : il fait froid dehors, il n'a pas de manteau s'il veut dormir dehors, pas de portable, pas d'argent donc pourquoi il ne rentre pas tout de suite, et pour Olivier, on ne dit pas "c'est étonnant", on dit "c'est un tonneau". La question me hante : "Je fais quoi, moi, demain, si je me réveille et qu'il n'est toujours pas là ?" Je veille une autre paire d'heures et épuisé, je m'endors. Le zombie Duchemin pousse difficilement la porte de son antre vers onze heures du matin. Il pue passablement, il parle à son lit, son disque dur a subi deux ou trois formatages, le mode "veille" le prend immédiatement. Au milieu de l'après-midi, il émerge doucement, amorce une ou deux remontées, et décide de scotcher sa fin de journée devant un film sur le pc portable. Au bout de deux films, l'idée lui vient de tâter sa poche. C'est là qu'il fait une découverte capitale : dans sa poche, il retrouve un procès-verbal de la police pour ébriété sur la voie publique, et une convocation pour voir un psychologue, puisque, la feuille le dit, s'il était si imbibé d'inflammable, c'est qu'il a un problème, raconte-nous tout, en Anglais, please. C'est le stimulus qui lui manquait pour reconstituer la fin de sa nuit... Nous décidons d'aller faire les courses. Olivier veut jeter un coup d'oeil amnésique à son compte en banque. Sur les 400 euros qu'il a touchés en fin de semaine, aujourd'hui dimanche, la machine lui annonce froidement qu'il lui en reste environ... 15. C'est décidé, pour la suite, il retire 50 euros et me refile sa carte pour la soirée, avec consigne de refuser de lui donner même sous la pression, fût-elle ambrée.

La semaine qui suit, Olivier décroche un entretien pour un travail intéressant en France, voilà pourquoi le week-end qui suit sera son dernier. Il promet à ses amis de revenir les voir, garde contact, embrasse tout le monde à la mort, à la vie. Le frère d'Hocine est là pour le week-end, et avec le départ d'Olivier, ça fait une vraie bonne raison de se faire péter le foie. Embarqués à sept dans un taxi qui s'amuse à lâcher le volant à 80 pour rigoler le long de Merrion Square, embringués dans une boîte pleine comme un oeuf, la nuit dure longtemps. Les filles, Hélène, Rachel et Lucie se partagent le lit et suffoquent de rire, on ne saura jamais si c'est pour l'état général de la chambre ou si c'est parce qu'au milieu du lit, elles ont trouvé une assiette avec des restes de poulet. Le frère d'Hocine, Abed, est réveillé à neuf heures du mat par le bruit d'une boîte qu'on décapsule. La journée d'Olivier commence, son avant-dernière à Dublin. Avec Rachel et Abed, nous formons un trio qui surveille Olivier, et pourtant, encore ce jour-là, il disparaît. Nous hurle au téléphone qu'il arrive dans deux minutes, part en courant le long de la longue O'Connell Street, et ne nous trouve jamais au rendez-vous au Spire. Je rentre vers deux heures du matin, et ce coup-ci, trouve une bosse sous la couette qui a tout oublié le lendemain.
Les semaines avec Olivier étaient, contre toute attente, très tranquilles. Nous carburions vaillamment au poulet ou aux steacks surgelés avec des chips, au Coca au sucre et à l'eau. La journée, je passe du temps sur internet afin de transmettre mon cv au plus grand nombre de Grosses Boîtes, passe un ou deux entretiens téléphoniques dont un avec une Française en Anglais approximatif des deux côtés de la Manche. Les Français connaissent les mots, mais ont un accent d'appellation d'origine incontrôlée. Je me retrouve à développer le métier fictif que j'ai noté sur mon cv et que je n'ai pas exercé pendant deux ans à mi-temps, puisque c'est celui qui intéresse le plus les boîtes qui m'appellent. J'invente une combine : Sur mon cv, un emploi fictif avec le nom d'une vraie entreprise. Pari risqué, puisque parfois, les agences de recrutement veulent vérifier la véracité de l'expérience, n'étant pas le premier saumon à tenter de remonter le Mississippi. Du coup, s'ils veulent appeler un numéro, je leur en donne un. C'est celui d'Efix, qui jouera le rôle de boss fictif. En cas d'appel, il doit me recommander chaudement en admettant mes qualités d'employé modèle, standard, dévoué et gagneur. Un grand merci à lui d'avoir accepté. Je distribue grâcieusement mes deux feuilles de vie (fictive et vécue) dans les boîtes d'intérim et de recrutement. Au terme de ces trois semaines de douce cohabitation, je me retrouve à battre le pavé dublinois, un matin ensol(mm)eillé, de retour à mon point de départ, Abraham House, auberge de jeunesse éternelle, et vraiment seul. Nous sommes le 5 février, ça fait presque un mois que je suis là, et je n'ai toujours pas de travail, je viens de perdre ma presque maison. Mon stress est proportionnellement inverse à l'argent qu'il me reste sur mon compte en banque que je ne peux même pas consulter sur internet d'ici. Le moral ? Il est pourtant bon. Je ne désespère toujours pas de trouver l'Eldorado, et puis, Olivier m'a donné un beau coup de pouce. Il ne m'a pas enlevé l'épine du pied, mais par contre, l'a coloriée en vert, c'est moins désagréable. Il m'a permis de gagner du temps, de prendre des contacts, de rencontrer des gens, de me nourrir de poulet et de quarter-pounders (steaks hachés) surgelés, "ce soir, on fait du riz ? Ca va changer des pâtes.",de me découvrir une passion pour les chips au vinaigre, et de faire une overdose de Noir Désir et de System of a Down. Sa maison va me manquer, comme il le dit, "my shit house, don't matter", avec son salon et sa moquette pourrie, son polonais qui vient fumer dans le salon et que je ne vois que se faire du café et du ragoût, son matelas défoncé au milieu du jardin sur lequel Olivier pisse en fin de soirée, sa chambre glaciale et la clé au fond de ma poche qui me dit que ce soir, je ne dormirai pas dehors. Pourquoi j'avais la clé ? Si Olivier ne me l'avait pas donnée, on aurait dormi tous les deux dehors, tiens.

Citation : Dialogue avec Abed.
"Il y a quand même vachement de Français ici, à Dublin."
Lui : "Ouais, c'est dingue. En fait, nous, les Français, on est les Arabes de l'Irlande !" joli pied-de-nez algérien en arabesque...


NdA, c'est avec un vrai plaisir que j'aurais mis des photos que j'aurais prises moi-même, si seulement je ne m'étais pas fait tirer mon appareil-photo à l'auberge durant ma première semaine. D'ici là, voici d'autres photos prises par d'autres gens, les miennes viendront, patience. Merci donc à Ragile, et à GranDavid pour leur contribution sans doute consentante.

PS : Si jamais un jour vous voyez un saumon remonter le Mississippi, envoyez-moi un mail, hein.

mercredi 20 juin 2007

Le septième jour...




Intro : Tout d'abord, je remercie tous mes fans, ultra-nombreux, inconditionnels et dévoués, groupés en clubs très fermés de supporters à-travers le bl...globe, qui, sans relâche, m'aspergent de leurs commentaires sarcastiques et parfois de leurs idées lumineuses. C'est comme ça que quelqu'un m'a dit que tu m'aimais encore, serait-ce possible alors, mais surtout qu'elle se demandait pourquoi j'avais mis la B.O en fin d'article, alors qu'elle lisait l'article en passant la musique pendant sa lecture. En moins de temps qu'il n'en faut pour que le gouvernement aligne une réforme liberticide, j'ai donc reconnu l'intelligence de cette remarque, surpris, parce que je ne pensais pas qu'on suivrait ce petit jeu à ce point-là. Voilà pourquoi désormais, Lecteur, mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure, la B.O se trouvera en début d'article, pour que tu puisses lire et en même temps écouter de la musique, mais tâche de rester concentré, on m'a déjà dit qu'il fallait Bac + 8 pour comprendre mes écrits, moi qui ai à-peine le Bac.
B.O : Gold Lion, The Yeah Yeah Yeahs, "Gold lion's gonna tell me where the light is"
Bolero, Moulin Rouge, end credits.
Missed Me, The Dresden Dolls.


"Find yourself a girl
And then settle down
Live a simple life in a quiet town,
Steady as she goes"
The Raconteurs, Steady as she goes.



Olivier, je ne le connaissais pas du tout avant de poser mon premier pied sur la lune irlandaise.
(Un petit pas pour moi, un grand pas pour mon humanité). C'était le cousin du pote de la grand-tante par alliance au troisième degré du fils germain de la cousine d'un pote éloigné, vers qui une bouteille par la mer avait été lancée, deux jours avant ma chute libre sur les pavés gris battus par la pluie cordiale. Je l'ai croisé en direct la première fois sur la Messagerie Super Ninstantanée, alors que je prenais lentement mais sûrement mes premiers repères dans ma chambre encore hostel, hostile, pardon.
Premier contact :

08/01/2007
16:44:44
olivier
Last chance to lose control...
moi je suis grand 1m93
08/01/2007
16:44:57
olivier
Last chance to lose control...
manteau bleu
08/01/2007
16:45:02
olivier
Last chance to lose control...
cheveux 3mm


















08/01/2007
16:45:30
olivier
Last chance to lose control...
et toi decrit toi




































08/01/2007
16:46:14
Last chance to lose control...
olivier
A vrai dire, difficile de me rater...
08/01/2007
16:46:27
olivier
Last chance to lose control...
tu es un pote d un groupe de musique et tu connais joris ?
C'est dire si on se connaissait... Et, évidemment, cette phrase qui, à Dublin, je l'apprendrai plus tard, est une véritable institution, un leitmotiv, un emblême, voire un lieu commun :

08/01/2007
16:43:43
olivier
Last chance to lose control...
on se rejoint a 19h30 au spyre

Le rendez-vous à la Grande Pointe, à la Poutre de Bamako, ce mélange de lampe halogène de mégalo et de phallus métallique, c'est une vieille coutume ancestrale qui date de 2003.

Petite parenthèse informative : Le Spire, " l'Aiguille", est, comme son nom l'indique, une énorme bite dressée vers le ciel, d'un diamètre de 3m à sa base, effilée jusqu'à atteindre un diamètre de 15cm à sa cime, haute de 120 mètres. Elle surplombe tout Dublin, balayant toute la ville de son regard borgne et circulaire, abritant les rendez-vous de toutes les heures et de toutes les saisons. A sa place, se trouvait jusqu'en 1966 la colonne de Nelson, capitaine... anglais. Voilà pourquoi en 1966, l'IRA, pas très contente de cet immense majeur dressé sur l'Irlande planté en son coeur, y déposa, selon les normes vigoureuses et une méthode de fabrication corse, un paquet surprise qui la détruisit à-moitié. Le Gouvernement irlandais et la presse condamnèrent fermement le geste, parce que Nelson, c'était un grand homme, qu'il méritait d'être en tête de colonne, et, finalement, se bousculèrent du coude pour s'avouer que bon, c'était pas bien de faire ça, mais que, finalement, elle était pas si belle, cette colonne, on n'osait pas le dire tout fort, mais on le pensait à l'intérieur de nous depuis longtemps. Du coup, le gouvernement acheva le boulot de l'IRA, faisant détruire par l'armée irlandaise, celle-là même qui organisait parfois des battues et autres chasses à courre à la poursuite des diamants verts les restes de cette maudite colonne. Retenant les leçons de l'Histoire, ainsi que les lois de la biologie selon lesquelles l'introduction d'un corps étranger (et surtout anglais) dans un autre corps induit le risque qu'il y ait rejet, l'Irlande commanda sa nouvelle virilité à un architecte anglais. J'imagine qu'ils ont pensé la pointe très effilée à sa cime pour que les kamikazes irlandais aux commandes d'un avion anti-tours n'aient pas la tâche facile du premier coup. Ou alors que le Spire ne soit qu'une gigantesque antenne de transmission d'informations pointée sur Orion, utilisée par le Gouvernement Irlandais pour vendre la Terre aux Elohims, c'est vous qui voyez. Revenons à mes boutons.



C'est ainsi que, vers 20h15 (j'avais pas entendu mon réveil...), je fis la connaissance, au Spire, d'un manteau agricole bien de chez nous, d'un bonnet d'une équipe de baseball quelconque (Les New York Rangers ou Adidas, je ne sais plus), et sous le bonnet, une paire de grands yeux bleus toujours étonnés. Olivier, c'est tout un poème, avec ses rimes riches seulement en début de semaine, ses pieds qui arpentent Dublin surtout la nuit, et surtout, ses verres. Il m'apprend les combines pour bâtir un cv digne de ce nom, m'enseigne les règles élémentaires de la survie en milieu urbano-libéralo-professionnel, me prodigue les mensonges essentiels à connaître, les endroits où aller rapidement.

Petite parenthèse informative : (Encore ?! Oui.)
Mentir sur son cv : Nous sommes encore très nombreux à débarquer sur Dublin avec nos beaux cvs tous neufs, enivrés de nos rêves, entre Si c'est un Curriculum et Achetez VadeMecum. Ce qu'il faut savoir, c'est que la plupart des informations qu'il contient est quasiment invérifiable parce qu'invérifiée. Les boîtes de recrutement, déjà contentes d'avoir un employé potentiellement modèle, de le rediriger vers une grosse boîte (à informatique, à chaussures, à nuit), et faire péter la caillasse, ne vont pas s'amuser à vérifier tout ce qu'on raconte sur notre cv, année par année, info par info, numéro de téléphone par numéro de téléphone. Voilà pourquoi gonfler un peu son expérience est un jeu assez marrant. C'est ainsi que, lisant mon nouveau cv, j'ai appris que j'avais été serveur à mi-temps pendant deux étés et réceptionniste-modèle-vendeur-nettoyeur-informaticien-gogo danseur pendant deux ans complets, à mi-temps avec mes études d'ornithologie appliquée en milieu post-cubiste.
Evidemment, pour être un tantinet crédible, il s'agit de glisser le mensonge minuscule entre deux feuilles de papier à cigarette sur le cv, qu'il ne se voie pas trop et qu'il ne laisse pas trop de traces au carbone 14. Il est par exemple assez maladroit de noter sur son cv des études de vingt ans de chercheur en Physique Théorique et Quantique à la NASA de Melun avec Option Macramé quand on a en réalité un CAP Coiffure et Boucherie, un BTS Informatique et Libertés, ou pire, une Maîtrise d'Histoire, de Lettres ou d'Anglais.

Olivier se gratte le bonnet, fronce les sourcils, calcule la possibilité d'avoir bossé à mi-temps dans cette période-là, raccourcit mon contrat virtuel, allonge un CDD, me remet une formation, me rend Docteur ès Excel, Prof de Powerpoint, chercheur en Service en Salle, Haut-Dignitaire en Débit de Boissons, très bon travailleur en équipe, bilingue Français-Anglais-Espagnol-Hongrois-Belge-Suisse-Québécois. Je prends des notes frénétiques sur ce qu'il faudra que je modifie, sur le carton de mon premier repas irlandais, un hamburger MacDo, me promets d'acheter un téléphone portable le lendemain, de faire les démarches pour être inscrit à la Sécu irlandaise, miracle économique qui permet de cotiser toute sa vie et ne pas avoir de retraites, obtenir mon Personal Public Service number et pouvoir travailler sans voir mon salaire taxé à 40 %. Je souffle ? Non, même pas.



Dans ma chambre, je fais la connaissance d'un sympathique couple français (ai-je déjà dit qu'il y a beaucoup de Français à Dublin ? Non ? Ai-je déjà dit que dans la rue, on entend aussi souvent parler Français, Italien, Espagnol qu'Anglais ? Non ? C'est chose faite.) Ils sont venus, pétris d'espoir dans ce merveilleux Eldorado (Céline, l'Eldorado n'est pas un état des Etats-Unis, au fait.), prometteur immobilier, fourmilier professionnel, selon les dires des amis et de Zone Interdite. Il y a un nombre incroyable de gens venus ici parce qu'ils ont vu le fabuleux destin d'une homélie de poulains rares mis en scène sur M6 qui trouvent amour, gloire et beauté en quelques jours sur Dublin, Place To Be, ville lumière fantasque, bonheur cosmique, paradis fiscal. Alors la première semaine, je me démène, parce qu'ils sont encore moins bien informés que moi, encore plus que si j'étais tout seul, juste parce que, mort de prétention,d'orgueil et de challenge personnel, j'avais envie d'être incollable pour répondre à leurs questions angoissées, et les tirer le plus rapidement, comme moi, de ce labyrinthe de vieille moquette et de draps communs. Les premiers jours sont assez difficiles, puisque le janvier dublinois est, en plus d'être sympathiquement pluvieux et cordialement humide, terriblement froid. Je passe le plus clair du temps (entre 8h et 15h30, après il fait nuit) dehors, à prendre des contacts pour un logement la plupart du temps indécent, à me perdre pour me rendre à un endroit, à marcher trois heures pour visiter une chambre pourrie mais chaleureuse, à essayer de négocier par téléphone avec un Irlandais que je n'arrive pour le moment pas à comprendre entièrement.
Alors que j'attends pour obtenir mon PPS Number, (sur mon ticket, est marqué 184. Sur l'afficheur lumineux, 38. J'ai encore la force d'en rire, je suis là seulement depuis trois jours.), je décroche mon premier entretien sur un mélange entre coup de force linguistique et mensonge éhonté.
Le boulot ? Etre aide en ligne sur un jeu de rôle en ligne, le bien nommé World of Warcraft. L'entretien téléphonique se déroule comme s'ensuit, traduit par mes soins :
"Allô, monsieur Clément ?"
"Oui ?" Fais redescendre la tension, merde, c'est qu'un boulot. Ok, c'est ton premier, mais rien n'est gagné, alors assure, c'est qu'une corde très raide où t'as pas le droit à l'erreur, après tout.
"Je viens de recevoir votre candidature, vous avez postulé pour un poste de Maître du Jeu, et vous avez indiqué que vous aviez notamment passé plein de temps sur World of Warcraft ?"
"Ou....ouiiiii ! Tout à fait." Meeeeerde, j'ai écrit que j'avais joué à ce jeu parce que c'était un must du RPG online, en fait, j'ai jamais joué, je sais juste à-peu près qu'un troll, c'est vert et ça pue, et que niveau 24, ça peut porter une masse d'Agranemthür +1 +5, c'est tout...
"Mais vous savez, j'ai passé beaucoup plus de temps sur Ragnarok Online."
"Oui, mais ça, on s'en fout. Vous en êtes à quel niveau, dans le jeu ?"
"Heu..." Meeeerde encore. Comme je ne connais pas le jeu, je n'ai aucune idée du nombre de niveaux, moi. Allez, immédiatement, comme ça, je tape dans le "ça me semble encore niveau débutant", et "ça fait un tout petit peu joueur avancé". "Heuuuuuu.... Niveau.... disons...25 ?!"
"Ah, très bien !" Ouuuuffff, ça existe...
La voix reprend : "C'est pas nul, comme niveau, ça. Vous pouvez venir passer un test-entretien, demain ? Disons, demain matin, 9h30, à Baggot Street. C'est simple, pour y aller, vous allez leftrightstraightforwardfuckfuckfuckparonomasePrieurédeSiondownupupDublinSaintStephen'sGreenstraight."
"Euh, d'accord, j'y serai."
"N'oubliez pas, c'est le nineseventyfourhundredsnottoobadthanksamilliononetwo."
"Gloups. Pas de problème."
Je raccroche. Je pense très vite. Me voilà en face de deux problèmes à résoudre, je dresse un plan de guerre et d'urgence. Premier problème : j'ai dit oui à tout, maintenant, en un après-midi, il faut que je me renseigne à fond sur ce putain de jeu. Je dégaine mon portable et appelle sans trop hésiter un contact en France (Oui ! C'est toi ! Merci de ton aide.) qui pourrait éventuellement me sauver la vie en me brieffant synthétiquement. Pas de pot, elle ne peut rien pour moi.
Deuxième problème, savoir où tout ça se déroule. Comme tu l'auras compris, Lecteur, mon Lecteur !, l'adresse précise et la route pour y aller ne m'étaient pas précisément tombées dans l'oreille. Je vais sur Mappy, et inscris maladroitement les rues, dessine un schéma rudimentaire.
Je passe l'après-midi sur les forums, je lis tout sur le jeu, deviens, j'y crois pour le moment, incollable pour le lendemain, je bosse mon sujet à fond.
Lendemain matin. Frais, dispos, motivé pour ce premier test en conditions réelles sans caméra cachée. Evidemment, je me perds dans Dublin. J'arrive avec 20 minutes de retard, tout ça parce que j'ai confondu D'Olier Street avec Westmoreland Street, ce qui va bien faire rire le public dublinois qui a encore le courage de me lire. J'ai perdu 6 litres d'eau, 3 kilos de ventre, et 5 grammes de confiance en moi, j'étais parti avec 6. Pas de problème, on me sourit, me demande de m'asseoir, alors que je m'éponge encore péniblement le front et que je masse mes tibias et mes mollets ultra-douloureux. S'ensuit le test, d'une difficulté rigolote, accroche-toi :
"Bon, monsieur Clément, tout va bien, installez-vous. Alors, commençons, vous faites partie de la Horde, ou de l'Alliance ? (dans ce jeu, on choisit son personnage en fonction de deux camps.)"
"Euh... De l'Alliance." (parce que j'suis un gentil.)
"Tiens, c'est marrant, hier, vous m'aviez dit la Horde. Mais j'ai dû me tromper."
Stupeur, tremblements, sueur, sourire crispé.
"Vous pouvez me donner votre nom de compte et votre mot de passe, s'il vous plaît ?"
Aïe. Ca, c'est ultime. Sans avoir jamais joué, c'était difficile à trouver, puisqu'en plus, c'était ultra-vérifiable et fait pour être contrôlé.
"Euh.... Attendez... bon sang, je m'en souviens plus, faut dire que j'ai arrêté de jouer il y a six mois." Vas-tu me croire, Lecteur, si je te dis que même ça, c'est passé ?
"Bon, aucun problème, vous nous le donnerez quand vous l'aurez retrouvé. Je vous donne les feuilles, bonne chance."
Je commence à feuilleter le dossier de test, histoire de survoler les questions, espérant que sur la dernière page, figure une petite note, "Si vous voyez ce message, sachez que ces questions sont juste là pour déconner, qu'elles ne servent à rien, vous êtes pas obligé d'y répondre. En tous cas, pas sérieusement." Mais désespérément rien. Il y a même une petite charte sur la confidentialité du test, que j'ai le droit de ne rien divulguer avant treize ans et deux jours, sans quoi je suis hors-la-loi et passible d'un séjour dans une prison Galgamothienne, sous la surveillance de deux Balrogs en liberté.
Et là, je sèche cruellement sur les questions, plutôt destinées à tester la connaissance ultra-profonde du candidat, donc son temps passé à jouer, et par là, son absence de vie sociale.
"Quelle est, d'après vous, la particularité du bassin de Zorhtaroth ?"
"Si on vous demande d'aller terrasser un Morghûl qui se trouve à l'Orient de Partorith, que faites-vous ?"
"Est-ce que la phrase "Hin, hin, qu'il est con, ce Bargarith" vous fait rire ? Si oui, en quoi ? Expliquez."
"Si on vous propose de jouer "Coudes à terre, bille à bière", ça veut dire quoi ?" (Que c'est une splendide contrepèterie que je viens de trouver, réponds-je.)
Alors je me lance, je tente des réponses, je joue à poil, j'étoffe, j'écris des diagnostics d'astrologue, assez vagues pour tout dire, assez imprécis pour être recalé sans remords, mais je n'en suis plus à mon premier mensonge éhonté, et je fonce. Quitte à être viré, je me permets des blagues comme réponses aux questions, même. A la question "Pourquoi voulez-vous être Maître du Jeu ?", je réponds "Parce que c'est cool d'être Dieu." A la fin du test, l'examinatrice lit mes réponses, sans un voile entre les sourcils, sans une réaction.
"Merci beaucoup, monsieur Clément, maintenant, nous allons faire un test de dactylographie."
Je fais le test sans aucun problème, et je rends la feuille en leur disant "J'ai corrigé les fautes d'orthographe, c'est bien ? C'est mieux ?" La feuille à recopier pour voir si on savait où était la touche "a" était la mini-charte, en Français.
La réponse tombe dans l'après-midi, je reçois un coup de fil derrière la nuque.
"Excusez-moi, je suis désolée, monsieur Clément, mais je crois que vous ne connaissez pas trop le jeu."
"Aaaaah bon ? Mince, alors..."
Premier job. Il me faut regarder le calendrier les yeux écarquillés pour réaliser que ça ne fait que quatre jours que je suis à Dublin.

mardi 24 avril 2007

"Ose !" Jette-toi à l'eau, voir si tu sais nager, depuis le temps que t'en parles.














" Je n'construirai pas sur la peur,
On verra bien sur le moment,
Comment s'comportent les douleurs
Faut qu'on s'en aille en sifflotant
Un air de fête, un vieil air de changement
Les fruits pourris en en-tête"
Déportivo, Sur le moment.



"Qu'est-ce que je fous ici ?"

Je ne me suis jamais posé cette question. Ou pas sérieusement, disons. Je savais depuis le début ce que je venais y faire. Le plus dur, sans doute.
On a tous un paradis perdu, ou un Eden ailleurs. C'est un fantasme freudien du jeune enfant qui, un jour de contrariété, rêve qu'il a été adopté et qu'un jour, un somptueux carosse viendra d'un pays lointain lui révéler la vérité : Tu as été adopté par cette famille indigne, en fait, tu es l'héritier de quelqu'un de super riche, et il est temps que tu accèdes au super pouvoir illimité. Viens, suis-nous, et tu n'auras plus jamais à manger des épinards/brocolis/clous rouillés/tartes dans la gueule. L'enfant adopté, lui, rêve soit qu'un jour une BMW s'arrête en bas de chez lui pour lui dire "T'as pas été adopté, en fait, tes parents sont tes vrais parents, t'as juste pas la même tête parce que la p'tite fée était bourrée ou que le facteur venait de Malaisie, mange tes épinards/brocolis/clous rouillés/tartes dans la gueule la conscience tranquille, mon enfant.", soit il rêve de retourner dans son vrai pays d'origine de là d'où qu'il vient vraiment parce que je ne sais quelle fibre l'enjoint du plus profond de lui-même à retrouver ce paradis perdu, où tout ira mieux qu'ici, où forcément, un retour aux racines, ça m'donne une place dans le monde, j'me fais une vraie identité et blablabla. Tout ça pour dire que j'avais volontairement enlevé le filet qui me retenait de la chute, qui était "rentrer à la maison, où là, au moins, tout va bien". A vrai dire, je n'ai jamais envisagé le retour chez moi que comme la reconnaissance d'un échec. Dans les pires moments, la question, c'était "Bon. Il y a une solution. Putain, elle est encore cachée.", mais jamais "Tiens, ça m'emmerde, là, je vais rentrer chez moi et prendre une douche."


Je me rappelle ce matin de juillet où, par téléphone, ma conscience, que j'aime avec la conscience du désespoir, m'a dit ces mots : "Tu sais ce qu'il te reste à faire." Elle avait raison, terriblement raison. Je ne savais pas ce que j'avais déjà fait, mais je savais trop bien ce qu'il me restait à faire. Regarder ce qu'on a déjà fait, c'est très confortable et réconfortant, il fallait donc que j'ose me retourner pour oser regarder ce qu'il restait à faire. Commencer par quitter cet agréable satellite de la Terre qui m'abritait, entre jeunesse confortable et balottée dans un manque de repères intemporel, et idées sans suite. Je sentais bien que j'avais brûlé jusqu'au bout cette vie, rythmée par une routine plus subie que choisie. A l'user jusqu'à la corde, il ne me restait plus qu'à me prendre les pieds dans son noeud coulant. Des idées sur le bonheur, on en a tous : avoir une bagnole, une maison, un chien, une femme et un sèche-linge, partir au bout du monde avec la Belle au Bois Dormant, celle qui sourit tout le temps et avec qui on n'a jamais d'engueulade, se payer enfin un écran plat géant Dolby Surround T'as George Clooney Assis A-Côté de Toi, acquérir à moindre prix un ampli avec plein de beaux sons qu'on croyait morts à 27 ans dans une flaque de vomi, choisir sa vie plutôt que de la prévoir, et enfin, s'en donner les moyens. Comment pouvais-je bien me prouver ma bonne foi et mes belles idées (un écran géant au plasma de carbone atomique m'a toujours fait trembler de bonheur, personnellement) ? En les mettant en application, finalement, choisissant soigneusement mes moyens. J'aurais dû lire avant Les Lois de L'Attraction de Brett Easton Ellis, ça ne m'aurait fait rire que deux chapitres, j'aurais trouvé ça "rock and roll" environ deux heures, et m'y serais presque reconnu. Lucile, Sexe, Amour, et Rock and Roll. Je passais à-côté de ma vie, sans doute par peur qu'elle ne m'éclabousse le pantalon, et que la tache mette plusieurs machines à partir. Les premiers jours où je voguais à pied sur Dublin, l'espoir inversement proportionnel au boulot que j'aurais immédiatement accepté (très précaire), j'ai reçu un appel téléphonique bienveillant. Il me demandait des nouvelles, voulait s'avoir comment tout ça se passait, me saluait pour mon courage d'être parti seul à feu, à sang et à poil, et puis, d'un coup, a eu cette phrase d'une vérité violente qui a fait retomber l'amour de sept ciels d'un coup : "Arf, s'étrangla la voix dans un rire réprimé, ça m'fait marrer de te demander à toi si t'as trouvé un job..." Tu t'en doutes, Lecteur Enchanté (de lire ENFIN quelque chose de nouveau), mon premier réflexe a été de nier, et pourtant, c'était terriblement et impitoyablement vrai. Cette phrase m'a rappelé ce que j'étais venu foutre ici. Comme de la jeunesse en manque de sensations dont je venais, qui a des idées sur tout, et surtout des idées sur la vie et une bagnole pour aller où elle veut, il me restait tout à faire, à me prouver et mettre finalement en application au moins un rêve. Quitte à rêver une vie, autant vivre un rêve, non ? Rock and roll ! "T'es paumé dans la vie, c'est bon, ça va deux secondes, maintenant, tu te démerdes et tu bouges. Ou alors tu vas grossir." Décidément, ma conscience marquait trop de points. Elle m'avait même une ou deux fois murmuré le mot "lâcheté", mais quand ma conscience et mon orgueil malhonnête de mâle se rencontrent, les étincelles qui en jaillissent n'allument pas forcément un feu. Voilà pourquoi, loin des "soirées" interminables, d'un consensus de coton inconfortable, je savais ce que je venais foutre ici. Tout. De rien. Oui, parce que finalement, ce Voyage Initiatique, c'était pas que d'la déconne, compagnon lecteur. Tout faire seul, envers et contre Erin Brockovich et moi-même, la solitude, la peur et la sécurité. J'avais finalement envie de toujours autant pouvoir ouvrir ma gueule ou l'écrire, mais avec beaucoup plus d'honnêteté. « Si je sais marcher tout seul, je vais où je veux ».
Une fois, j'ai raconté la galère dans laquelle j'avais depuis trop longtemps embarqué -et le pire, en ayant payé mon billet- à quelqu'un qui m'a aidé à trouver une solution, et qui a eu cette réponse reconnaissante, honnête et intelligente : "Enfin, je te dis ça, c'est quand même très facile à faire assise sur mon siège, chez moi." De quelqu'un d'autre, j'ai eu ce triste "Rock and roll !" Eh non. Le rock and roll, ça n'est pas de dormir à deux pas de la rue, de vivre une précarité épuisante pendant plusieurs mois, où même manger devient un problème. Ou alors, ils sont des milliers à être rock and roll, et on ne leur jette même pas une pièce quand on les croise, histoire de faire continuer le show.
"Depuis le fond de mon exil, / J'vous pisse à la raie, bien tranquille/ Là-bas, ne m'en veuillez pas..."
Voilà ce à quoi je pensais, ce premier jour, quand j'ai posé, de ma chambre, mon premier regard sur la rue bruyante, la première que je voyais réellement de Dublin, son brouhaha enfumé motorisé, son flot de piétons qui arpente les trottoirs aux dalles grises, qui se masse aux passages-piétons, attendant impatiemment le bruit de pistolaser du signal que c'est bon, le bonhomme est vert, on peut passer, mais on regarde à droite et non à gauche.
La première impression que j'ai eue, en rentrant dans cette chambre d'Abraham House a été assez violente. Le sac militant anti-épaules, le voyage, enfin l'étranger, le premier rendez-vous raté (putain, l'Irlandais croit que l'étranger, c'est moi, alors que c'est lui !), et cette chambre avec sa moquette élimée, ses huit lits métalliques et ses couvertures épinard, sa gueule de dortoir militaire, son haleine de pas chez moi, bon sang, qu'est-ce que je fous là. Oups, je voulais dire "Bon, j'ai intérêt à trouver quelque chose rapidement, là, parce que c'est pas très beau, ça ressemble à ma chambre, mais avec plein de gens en même temps, va falloir qu'on fasse des rondes pour dormir, parce que là, ça va pas être cool de partager son sommeil." Quand je vous dis que j'étais pourri de confort...

Il était temps enfin d'agir, alors je n'ai pas perdu de temps, malgré mon unique heure de sommeil de la nuit précédente, qu'avais-je donc bien pu faire, j'ai branché mon pc de jeune riche à l'internet du coin. C'était pourtant simple, je ne connaissais personne, et je devais trouver un travail, un logement décent, une vie, et moi-même. C'est comme ça que j'ai eu mon premier contact avec Olivier.


"Aujourd'hui, j'ai rien fait
J'ai écouté les mouches voler
Dans leur vrombissement
Et leurs reflets merdeux d'argent
Là-bas, on ne s'ennuie pas.

Si je respire encore,
Je sais pas, peut-être je suis mort.
Je peux plus m'énerver,
J'ai à-peine la force de rêver,
Là-bas, tout va bien pour moi.

Je ne pense plus à mes parents,
D'ailleurs, ils n'avaient pas d'enfant,
Alors je peux pas être mort,

Avant de m'en aller,
J'ai appris qu'il y a des prairies
Où on peut galoper comme ça
Sans cesse, à l'infini,
Là-bas, comme au cinéma.

Depuis le fond de mon exil,
J'vous pisse à la raie,
Bien tranquille,
Là-bas, ne m'en veuillez pas..."

Noir Désir, Là-bas.



BO : The Fiery Furnaces, Duffer St George. Dans la tête, dans les oreilles, les tous premiers jours, à huit heures du mat dans la rue, à minuit au lit, dans D'Olier Street, sur Gardiner Street Lower, sur Bachelors Walk. Le soleil du matin, le froid de la journée, la première cigarette de la journée, ce qu'il me reste encore à faire. Suivez le guide.

Carla Bruni, Quelqu'un m'a dit.


vendredi 16 mars 2007

Au risque de s'y plaire, au moment de s'y croire., V 0.2



Je me suis réveillé un matin d'hiver froid comme n'importe quel matin d'été Dublinois, sauf que j'étais encore dans mon pays natal. Je veux dire, le pays qui m'a vu voir le jour, quoi. J'avais très peu dormi, comme à la veille de n'importe quel départ avec trajet long et destination qu'on n'a pas encore visitée, dont on n'a vu que les photos et entendu les récits que seuls les Anciens et les Troubadours qui parcourent les pays racontent, la mémoire embuée, un soir d'éthylisme ou de fête, comme à la veille de n'importe quel jour où on s'apprête à plonger la tête la première à reculons (essayez cette nouvelle position, c'est très rigolo) dans quelque chose dont on sait que ça va être très Grand, très Impressionnant, et finalement, dont on a terriblement Peur.
Je suis sorti de ma cahute, pour faire le tour une dernière fois de ma tribu. La veille, j'avais abondamment fêté le Départ, à rendre témoignage de la capacité du corps humain à absorber une quantité non-négligeable d'hydromel et autres nectars qu'on ne dit que divins car ils dépossèdent la conscience de la raison, en plus d'avoir le pouvoir mystique de rendre marrant l'humour de Laurent Gerra. Je dis "rendre témoignage", car Tu sais bien que je ne bois pas, enfin. J'ai remisé et vérifié mes armes, rangé ma fidèle épée, affûté mon bouclier, et repris mon baluchon. J'ai caressé une dernière fois ma compagne et monté une dernière fois mon cheval, à moins que ce ne fût le contraire, je ne sais plus, c'est une autre vie. Mon père, le Chef respecté de la tribu, est venu me voir solennellement et m'a tapé l'épaule en me disant "Courage, fils. Sois fort."
Ce jour-là, je suis parti, j'ai quitté le pays que je connaissais, je laissais derrière moi des tas de gens que j'aimais (moins que mes parents, bien entendu), et j'ai embarqué pour Le Grand Voyage Initiatique, ce jour-là, je suis parti pour Devenir Un Homme.
La cité de Baile Atha Cliath, la Mystique, la Superbe, l'Unique, m'attendait.
Finalement, pour le départ, je n'ai pas eu d'emmerdes, sauf quand la douane, à l'aéroport, a vu mon épée, mon bouclier et mon manteau de peau. Forcément, pour le détecteur de métaux et produits explosifs, ça passait moyen.
C'est ainsi, ou presque, que je me suis retrouvé un beau matin ensoleillé d'hiver à Baile Atha Cliath, c'est-à-dire qu'il pleuvait, mais qu'il n'y avait pas de vent, avec un sac et le minimum vital, soit environ 25 kilos de trucs non-explosifs, non-coupants, non-musulmans-terroristes, ainsi qu'un petit noeud quelque part dans l'estomac.
"Far away,
the ship is taking me far away,
Far away from the memories
Of the people who care if I live or die
The starlight, I will be chasing the starlight
Until the end of my life,
I don't know if it's worth it anymore"

(Petite parenthèse informative)
Dublin, ou Baile Atha Cliath. A vrai dire, même encore aujourd'hui, j'ignore si les Irlandais sont très attachés à leur langue Irlandaise, c'est-à-dire le Gaëlique. Une Native un peu éméchée m'a, un soir, alors que nous sortions tous les deux sourds d'une énième teuboi irlandaise, avoué que les Irlandais avaient Gaëlique obligé en cours de langue quand ils étaient bébés, mais qu'elle trouvait ça un peu con, parce qu'aujourd'hui, comme le Breton, y avait que les ringards et les darons qui le bredouillaient les soirs hydroméliques ou les départs des Jeunes pour leur Grand Voyage Initiatique A Eux. Le fait est quand même qu'il n'est écrit nulle part sur une plaque minéralogique "Dublin", mais Baile Atha Cliath, et qu'il suffit de s'engager un peu plus dans les terres pour voir que les panneaux ne sont même plus traduits dans la langue de l'Envahisseur et Meilleur Ennemi. On a failli se paumer dans le Connemara, c'est dire.
De même, la ligne de bus de Dublin s'appelle Bus Atha Cliath, et non "Ligne of Bus Of Dublin", "Réseau of Transport in Commun of Dublin", ou ce genre d'appellation d'origine contrôlée jusqu'en 1921. Le nom des stations de Tram est aussi dans les deux langues, soit en Anglais et en Elfique. (Je dis ça à l'adresse de tous les jeuuunes qui ont les cheveux très longs, des t-shirts noirs et des semelles compensées de travesti clouté et au bord du désespoir, ça va les faire sourire aigrement.)
Enfin, il y a régulièrement des stages proposés pour apprendre à parler comme Sauron en VO.
Comment prononce-t-on dans la langue ce nom qui rappelle le cliquetis des épées au petit matin, les vilains Orcs, les albums des Corrs, les chansons de U2 et les concerts des Cranberries, les Leprechauns rigolards et les invasions de dragons venus du Royaume Maléfique que seule l'Epée Magique de Zorg L'Embaumeur repoussera sans coup férir ?
Eh bien, c'est très compliqué. Après avoir vu les mots "Elfique", "Zorg" et "Férir", vous pensez évidemment à mettre votre langue entre vos dents de devant et vous appliquer à prononcer un beau [th] en elfique ou en Anglais, (bien que les Elfes soient d'un blond un peu moins sale que les Anglais) eh bien vous avez tout faux, un peu comme ceux d'entre Toi qui pensaient voir un rapprochement du "Baile" avec "Baila" dans "Baila Morena". Voilà ce que ça donne, en gros :
"Boya Oha Clia' ".
Je suis désolé, je ne peux pas faire moins compliqué. En revanche, si vous voulez pratiquer la langue, c'est simple, il suffit de le dire très vite et plein de fois. Vous saurez ainsi dire "Dublin" en Elfique, et vous vous attirerez les sympathies de n'importe quel Ancien rencontré dans un des nombreux pubs de Temple Bar, qui vous racontera sa vie, vous paiera un coup et vous demandera votre numéro de téléphone elfique.
Mais alors, me demandez-vous, avides de savoir car vous vous étiez renseignés dans votre coin, comment ça se fait qu'alors que tant de noms Anglais ne sont qu'une adaptation des noms gaëliques, "Baile Atha Cliath" ne ressemble pas à "Dublin", parce que j'me suis entraîné beaucoup, et même en le prononçant très vite et avec la bouche pleine de balles de ping-pong, "Baile Atha Cliath" ne ressemble guère à "Dublin" ?
C'est simple, c'est parce que "Dublin" vient du Celte (les blonds sales qui boivent le sang de leurs ennemis dans l'utérus encore chaud de leurs femmes, qui forgent les barres à mine en tapant sur le métal rouge avec leur poing fermé, et qui parfois se réunissent sur un stade pour essayer de faire passer une calebasse entre deux poteaux), alors que "Baile Atha Cliath" vient du Gaëlique (les superbes blonds au visage très fin qui vivent dans les bois, se nourrissent de baies sauvages, ont un arc en titane de boulot, parlent l'Arbre, et ne font jamais caca).
"Dublin" vient du Celte "Dubhlinn", ce qui veut dire "La Mare Noire". C'est le côté boîte de nuit ou fosse septique.
"Baile Atha Cliath", le nom gaëlique, signifie "La Ville Du Gué aux Claies". Vous voyez dès à présent la différence entre le lyrisme délicat du Celte et celui, en dentelle finie à la main, du Gaëlique. Pour information, car je sais que ça vous intéresse, ce gué dont je viens de vous parler a été bâti il y a fort longtemps par Conor MacNessa, roi de l'Ulster. Ce roi de l'Ulster, qui était décidément un très bon bâtisseur en plus d'être un monarque hargneux, a construit ce gué pour franchir la rivière Liffey (Prononcez "Lifi", comme dans "Chaîne Liffey", ou "Connexion Liffey")
Je pourrais encore parler de l'histoire de la ville de Dublin, mais enfin, vous avez décroché depuis longtemps.
(Fin de la parenthèse instructive)

Me voilà donc, errant, perdu, et à vrai dire, sans aucun point de chute précis, dans une rue que je connais pas, dans une ville que blablabla. Je me souviens avoir regardé le paysage par la fenêtre de la navette qui m'emmenait vers le Centre-Ville (les salauds, leur navette coûte six euros, alors que le même trajet en bus de ville en coûte moins de deux.), avoir rigolé en passant devant l'église de St Francis-Xavier, sans doute un Saint à quatre cordes ou chauve, et d'avoir prononcé ma première phrase en Anglais dans ce monde de brutes. "Is it O'Connell Street ?", ai-je osé demander. Quand on sait qu'O'Connell Street, c'est, comme ils l'appellent, les Champs-Elysées dublinois, c'est une première question un peu rigolote. "Yes", she told me. Alors évidemment, vous pensez bien que ça aurait été trop facile de se retrouver dans la rue principale de Dublin, c'est pourquoi je ne suis descendu que deux arrêts plus tard, sans doute pour prouver que j'avais de l'humour, ou pour avoir déjà un truc à raconter. Perdu dans une rue sombre, je commence à découvrir les joies de la conduite à gauche, des "regardez à droite quand vous traversez" (vérifiez vous-mêmes. Quand vous traversez, vous regardez à gauche, ou alors vous venez de vous faire écraser.) C'est alors que je commence à entrevoir l'étendue de mon malheur, puisque je réalise que je suis parti avec le minimum vital pour un con comme moi, c'est-à-dire aucune carte, ni aucun guide, juste un sac avec deux lanières Edition Limitée Lames de Rasoir en Plomb Rouillé. Je demande à gauche et à droite (avant de traverser, bien-sûr), et finis tant bien que mal par arriver devant ce qui sera ma maison pendant quelques mois et dont le nom était écrit sur un bout de papier perdu au fond d'une poche, mais je ne sais plus laquelle, attends, j'pose mon sac pour vérifier : Abraham's House, 82-83, Gardiner Street Lower. Pour la Sécu irlandaise, je réside toujours à cette adresse, où, si l'on se fie à leurs données, je partage ma chambre avec 1237 Polonais, 438 Tchèques, 11384 Français, et 34 Corses.
Je rentre dans le hall, là où j'écris cet article en ce moment même, et demande si une chambre est libre. C'est alors que je rate le premier contact avec le vrai autochtone, puisqu'il me tend la clé, et me dit
"jkfdjkzlsdroomfdjhndjnelevenhoursinthemorningdfjkskdsjkplease."
Ce à quoi je ne trouve rien à répondre de plus syntaxiquement correct que "Ok."
Je grimpe dans ma chambre, pose mon sac, respire.
Premier Jour.

B.O : Starlight, Muse.
Et définitivement cette chanson pleine d'espoir, trouve-je, Exit Music (For a Film), Radiohead.
"Wake
From your sleep,
The drying of your tears
Today...
We escape...
We escape...

Pack
And get dressed,
Before your father hears us
Before... all hell... breaks loose.

Breathe
Keep breathing
I can't do this
Alone"
We hope, that you choke/That you choke.

jeudi 1 mars 2007

"Dublin. Nom propre pluriel."


"Dublin.

Nom propre pluriel.

Il y a le Dublin des riches, naturellement, et le Dublin des pauvres. Comme partout. Mais il y a plus que cela. Les riches après tout s'accommodent volontiers d'un peu de variété ; les pauvres sont riches de leur diversité.

Et puis, il y a les autres, ceux qui ne sont ni l'un ni l'autre -ceux qui s'en sortent sans plus, la masse moyenne, la piétaille. Où est-ce qu'ils vivent, ceux-là ?

A Dublin, avec les autres. Un million de chats dans un sac, sur les bords de la rivière.

Dublin salarié, Dublin pédé, Dublin junkie, Dublin spectacle, Dublin fêtard, Dublin des attachés-cases, Dublin clodo, Dublin banlieue, Dublin des ados, Dublin cité des gangs, Dublin drapeaux dans le vent, Dublin des mères, Dublin péquenot, Dublin musulman, Street battue par le vent et la pluie à onze heures du matin au mois de février, Dublin ivre, Dublin affamé, Dublin de la brigade des moeurs et de la syphilis, Dublin qui danse, Dublin et sa fausse cathédrale catholique, Dublin des écrivains, Dublin des politiques, Dublin à la télé, Dublin selon Bono, Dublin selon Ronnie Drew, Dublin de Bloomsday, Dublin d'Arbour Hill et de Kilmainham Jail, Dublin selon Gandon, Dublin selon Durcan, Dublin, la ville où l'on enseigne l'Anglais comme une langue étrangère, Dublin Juif, Dublin des émigrants, Dublin des émigrés, Dublin qui vous tabasse, Dublin qui vous dépouille, Dublin du XVIIIè siècle, Dublin qui vous viole, Dublin qui vous tue, Dublin des golfs, Dublin des Américains, Dublin de la Saint-Patrick, Dublin de Phoenix Park, Dublin des tueurs en série, effrayant paradis des pots-de-vin, Dublin des embouteillages, Dublin des promoteurs, Dublin inepte, Dublin qu'on n'a pas les moyens de se payer, Dublin qui a besoin de vous, Dublin qui n'en a rien à foutre, Dublin avec sa vue sur les collines, la mer dans la baie, la rivière ivre qui titube.

Dublin."



Keith Ridway, Puzzle, 2004.


B.O : Yes, Please, Muse. A écouter très fort en lisant le texte.

lundi 26 février 2007

Avertissement au lecteur.



Lecteur, mon lapin, ami, camarade, (tu permets que j't'appelle "camarade" ?), il te faut lire, avant de te lancer avidement dans la lecture de ce journal de bord -c'est, d'une part, beaucoup plus élégant que "blog", qui évoque une sorte de monstre globuleux et polymorphe qui sort du trou des chiottes au moment où on ne s'y attend pas dans le but de nous faire subir des sévices pires que le Best Of d'Abu-Grahib ou les mémoires de Maurice Chevallier, et d'autre part, "journal de bord" rend mieux compte de mon intention-, cet avertissement.
Je tiens à m'excuser solennellement de tout, c'est-à-dire à ne demander pardon pour rien, et, empreint d'un désir d'honnêteté jusqu'au bout, à lever la main droite et à ne dire rien qu'la vérité, juste la vérité et plein de trucs vrais. Aussi, tout ce que tu liras lors de ces nuits sans lune interminables où tu me suivras dans le dédale de ma vie aventureuse est tout à fait authentique, je le jure sur la Bible et la Vie Après la Mort, le Coran même alternatif, le Grand Livre Noir du Communisme, le Petit Livre Rouge du Libéralisme, Hiroshima, mon Amour, et l'Encyclopédie Encarta en 130 volumes (Thésaurus non compris, sinon c'est d'la triche, c'est comme manger avant de s'enfiler des pintes).
Pour commencer, je tiens à préciser devant Dieu que c'est pas moi que j'ai volé l'orange du marchand, ni cassé ce putain de peigne. C'est Rousseau, j'vous promets.
Je tiens aussi à dire, Lecteur, Ma Poule, que ce que tu t'apprêtes à lire est très chiant.
D'abord, parce que mes phrases sont interminables (je ne vois que rarement l'intérêt de terminer une phrase, sinon pour reprendre sa respiration, mais enfin, j'imagine bien que je ne serai jamais lu à voix haute, et tant mieux, sans doute).
Ensuite, parce que les raisons de ce Journal de bord sont de plusieurs ordres. D'une part, pour assouvir tes désirs qui sont ceux de tout lecteur avide de nouvelles de ma vie et de sensations fortes, de rock'n roll, d'électricité, de misère, d'un peu de violence et d'un peu de cul, je relaterai ici ce qui m'est arrivé, en intégralité, je l'espère, si ma mémoire est bonne. D'autre part, parce que je n'ai pas laissé mon cortex et mon bulbe rachidien dans les soutes de l'oiseau métallique qui m'a déposé un beau matin de janvier au coeur d'une ville dont je n'avais pas même une carte. (Faisons un jeu : trouve dans la phrase précédente trois noms d'organes, et un lieu commun de la pire espèce d'avion). Conséquemment, toi, Lecteur, Copain, Compagnon de Route fidèle parmi les Fidèles -si déjà, tu me lis encore, c'est très courageux, sois-en remercié-, tu te taperas aussi mes réflexions philosophiques, qu'elles fussent niveau Ground Zero ou de la taille du sommet du Spire (Le Spire n'est jamais décevant). Je sais que la plupart d'entre Toi, Lecteur, est déjà habituée (sujet, "la plupart", suis, un peu.) à lire beaucoup et intensément des choses qui n'en valent pas toujours la peine, mais enfin, j'ai quand même gagné ma place sur le Bleurg de Vanz, merde. (http://vanz.over-blog.com/)
Je tiens aussi à recommander aux enfants d'éloigner très beaucoup leurs parents, ou les parents d'éloigner les grands-parents, car il va y avoir pas mal de gros mots, de grossièreté, d'allusions très racistes, sexistes, antisémites, voire homophobes et tout plein de blasphèmes, je ne vous garantis rien, mais je vous promets tout. Ne te démonte pas, donc, si tu aperçois au détour d'une virgule traître des mots dissimulés habilement comme "sodomie" ou "Nietzsche" ou "Quignard", quoi. Mon but n'est évidemment pas de remettre en question l'existence de la Shoah, de me présenter comme "candidat du peuple", de piocher dans l'électorat indécis sarkozyste, ni de séduire à grands coups de Débats Participatifs, mais enfin, Lecteur, Mon Français de souche, si tu n'es pas capable de ce discernement, dégage dès à présent d'ici pour aller fomenter un complot pour le 1er mai. Je me ferai un plaisir de laisser le champ libre à tous les commentaires possibles et imaginables pour recueillir la stupeur et les tremblements, les bourriches d'huîtres et les bouquets de roses, dussent-elles encore avoir leurs épines, et bien que toutes les critiques seront les bienvenues, elles seront patiemment écoutées, mais rarement entendues, t'es prévenu, c'est moi que j'suis le patron, m'emmerde pas trop longtemps.
Voilà, Lecteur, Ma Puce, tu es prévenu, tu sais à quoi tu t'engages. Evidemment, tu es totalement libre, désormais, de me lire, ou de hausser dubitativement les épaules en renonçant et en allant de plonger plutôt dans le dernier Marc Lévy (http://www.marclevy.info/) qui contient plus de jolis sentiments et vachement moins de grossièretés. Mais gare, Lecteur, Mon Chéri, le sucre, ça fait grossir et ça pourrit les dents.


Note, benêt : A la fin de chaque article, il y a ce que j'ai appelé, tu le remarqueras très vite, la BO. Ça aurait pu vouloir dire "Boris Ovakonovitch", "Bite Ouverte" ou "Bar Ouzbek", en fait, ça veut dire "Bande Originale". Comme ça, ça donnera un côté film très sympa à ta lecture, les événements et la musique en même temps, pour larmoyer à l'envi avec une bande sonore très triste, ou rigoler de bon coeur avec la Bite à Dudule au moment où j'me casse la gueule sur une peau de banane. J'ai mis cette "BO" parce que ce sont les morceaux que j'ai soit eus en tête, soit écoutés, soit les deux, au moment raconté. Je ne suis pas con, aussi, je sais que si tu peux me lire en ce moment, c'est que, logiquement, tu es connecté au net. Voilà pourquoi la grande majorité des morceaux que j'aurai indiqués sera accessible online sur le très bon site http://www.radioblogclub.com/, où tu n'auras qu'à copier coller le titre/auteur du morceau.
Oui ? Ça ressemble à ces bouquins d'enfants que tu peux lire en écoutant de la musique ?
Alors, Lecteur, Mon Divin Enfant, dès que tu entends la clochette, tu peux tourner la page.