mardi 24 avril 2007

"Ose !" Jette-toi à l'eau, voir si tu sais nager, depuis le temps que t'en parles.














" Je n'construirai pas sur la peur,
On verra bien sur le moment,
Comment s'comportent les douleurs
Faut qu'on s'en aille en sifflotant
Un air de fête, un vieil air de changement
Les fruits pourris en en-tête"
Déportivo, Sur le moment.



"Qu'est-ce que je fous ici ?"

Je ne me suis jamais posé cette question. Ou pas sérieusement, disons. Je savais depuis le début ce que je venais y faire. Le plus dur, sans doute.
On a tous un paradis perdu, ou un Eden ailleurs. C'est un fantasme freudien du jeune enfant qui, un jour de contrariété, rêve qu'il a été adopté et qu'un jour, un somptueux carosse viendra d'un pays lointain lui révéler la vérité : Tu as été adopté par cette famille indigne, en fait, tu es l'héritier de quelqu'un de super riche, et il est temps que tu accèdes au super pouvoir illimité. Viens, suis-nous, et tu n'auras plus jamais à manger des épinards/brocolis/clous rouillés/tartes dans la gueule. L'enfant adopté, lui, rêve soit qu'un jour une BMW s'arrête en bas de chez lui pour lui dire "T'as pas été adopté, en fait, tes parents sont tes vrais parents, t'as juste pas la même tête parce que la p'tite fée était bourrée ou que le facteur venait de Malaisie, mange tes épinards/brocolis/clous rouillés/tartes dans la gueule la conscience tranquille, mon enfant.", soit il rêve de retourner dans son vrai pays d'origine de là d'où qu'il vient vraiment parce que je ne sais quelle fibre l'enjoint du plus profond de lui-même à retrouver ce paradis perdu, où tout ira mieux qu'ici, où forcément, un retour aux racines, ça m'donne une place dans le monde, j'me fais une vraie identité et blablabla. Tout ça pour dire que j'avais volontairement enlevé le filet qui me retenait de la chute, qui était "rentrer à la maison, où là, au moins, tout va bien". A vrai dire, je n'ai jamais envisagé le retour chez moi que comme la reconnaissance d'un échec. Dans les pires moments, la question, c'était "Bon. Il y a une solution. Putain, elle est encore cachée.", mais jamais "Tiens, ça m'emmerde, là, je vais rentrer chez moi et prendre une douche."


Je me rappelle ce matin de juillet où, par téléphone, ma conscience, que j'aime avec la conscience du désespoir, m'a dit ces mots : "Tu sais ce qu'il te reste à faire." Elle avait raison, terriblement raison. Je ne savais pas ce que j'avais déjà fait, mais je savais trop bien ce qu'il me restait à faire. Regarder ce qu'on a déjà fait, c'est très confortable et réconfortant, il fallait donc que j'ose me retourner pour oser regarder ce qu'il restait à faire. Commencer par quitter cet agréable satellite de la Terre qui m'abritait, entre jeunesse confortable et balottée dans un manque de repères intemporel, et idées sans suite. Je sentais bien que j'avais brûlé jusqu'au bout cette vie, rythmée par une routine plus subie que choisie. A l'user jusqu'à la corde, il ne me restait plus qu'à me prendre les pieds dans son noeud coulant. Des idées sur le bonheur, on en a tous : avoir une bagnole, une maison, un chien, une femme et un sèche-linge, partir au bout du monde avec la Belle au Bois Dormant, celle qui sourit tout le temps et avec qui on n'a jamais d'engueulade, se payer enfin un écran plat géant Dolby Surround T'as George Clooney Assis A-Côté de Toi, acquérir à moindre prix un ampli avec plein de beaux sons qu'on croyait morts à 27 ans dans une flaque de vomi, choisir sa vie plutôt que de la prévoir, et enfin, s'en donner les moyens. Comment pouvais-je bien me prouver ma bonne foi et mes belles idées (un écran géant au plasma de carbone atomique m'a toujours fait trembler de bonheur, personnellement) ? En les mettant en application, finalement, choisissant soigneusement mes moyens. J'aurais dû lire avant Les Lois de L'Attraction de Brett Easton Ellis, ça ne m'aurait fait rire que deux chapitres, j'aurais trouvé ça "rock and roll" environ deux heures, et m'y serais presque reconnu. Lucile, Sexe, Amour, et Rock and Roll. Je passais à-côté de ma vie, sans doute par peur qu'elle ne m'éclabousse le pantalon, et que la tache mette plusieurs machines à partir. Les premiers jours où je voguais à pied sur Dublin, l'espoir inversement proportionnel au boulot que j'aurais immédiatement accepté (très précaire), j'ai reçu un appel téléphonique bienveillant. Il me demandait des nouvelles, voulait s'avoir comment tout ça se passait, me saluait pour mon courage d'être parti seul à feu, à sang et à poil, et puis, d'un coup, a eu cette phrase d'une vérité violente qui a fait retomber l'amour de sept ciels d'un coup : "Arf, s'étrangla la voix dans un rire réprimé, ça m'fait marrer de te demander à toi si t'as trouvé un job..." Tu t'en doutes, Lecteur Enchanté (de lire ENFIN quelque chose de nouveau), mon premier réflexe a été de nier, et pourtant, c'était terriblement et impitoyablement vrai. Cette phrase m'a rappelé ce que j'étais venu foutre ici. Comme de la jeunesse en manque de sensations dont je venais, qui a des idées sur tout, et surtout des idées sur la vie et une bagnole pour aller où elle veut, il me restait tout à faire, à me prouver et mettre finalement en application au moins un rêve. Quitte à rêver une vie, autant vivre un rêve, non ? Rock and roll ! "T'es paumé dans la vie, c'est bon, ça va deux secondes, maintenant, tu te démerdes et tu bouges. Ou alors tu vas grossir." Décidément, ma conscience marquait trop de points. Elle m'avait même une ou deux fois murmuré le mot "lâcheté", mais quand ma conscience et mon orgueil malhonnête de mâle se rencontrent, les étincelles qui en jaillissent n'allument pas forcément un feu. Voilà pourquoi, loin des "soirées" interminables, d'un consensus de coton inconfortable, je savais ce que je venais foutre ici. Tout. De rien. Oui, parce que finalement, ce Voyage Initiatique, c'était pas que d'la déconne, compagnon lecteur. Tout faire seul, envers et contre Erin Brockovich et moi-même, la solitude, la peur et la sécurité. J'avais finalement envie de toujours autant pouvoir ouvrir ma gueule ou l'écrire, mais avec beaucoup plus d'honnêteté. « Si je sais marcher tout seul, je vais où je veux ».
Une fois, j'ai raconté la galère dans laquelle j'avais depuis trop longtemps embarqué -et le pire, en ayant payé mon billet- à quelqu'un qui m'a aidé à trouver une solution, et qui a eu cette réponse reconnaissante, honnête et intelligente : "Enfin, je te dis ça, c'est quand même très facile à faire assise sur mon siège, chez moi." De quelqu'un d'autre, j'ai eu ce triste "Rock and roll !" Eh non. Le rock and roll, ça n'est pas de dormir à deux pas de la rue, de vivre une précarité épuisante pendant plusieurs mois, où même manger devient un problème. Ou alors, ils sont des milliers à être rock and roll, et on ne leur jette même pas une pièce quand on les croise, histoire de faire continuer le show.
"Depuis le fond de mon exil, / J'vous pisse à la raie, bien tranquille/ Là-bas, ne m'en veuillez pas..."
Voilà ce à quoi je pensais, ce premier jour, quand j'ai posé, de ma chambre, mon premier regard sur la rue bruyante, la première que je voyais réellement de Dublin, son brouhaha enfumé motorisé, son flot de piétons qui arpente les trottoirs aux dalles grises, qui se masse aux passages-piétons, attendant impatiemment le bruit de pistolaser du signal que c'est bon, le bonhomme est vert, on peut passer, mais on regarde à droite et non à gauche.
La première impression que j'ai eue, en rentrant dans cette chambre d'Abraham House a été assez violente. Le sac militant anti-épaules, le voyage, enfin l'étranger, le premier rendez-vous raté (putain, l'Irlandais croit que l'étranger, c'est moi, alors que c'est lui !), et cette chambre avec sa moquette élimée, ses huit lits métalliques et ses couvertures épinard, sa gueule de dortoir militaire, son haleine de pas chez moi, bon sang, qu'est-ce que je fous là. Oups, je voulais dire "Bon, j'ai intérêt à trouver quelque chose rapidement, là, parce que c'est pas très beau, ça ressemble à ma chambre, mais avec plein de gens en même temps, va falloir qu'on fasse des rondes pour dormir, parce que là, ça va pas être cool de partager son sommeil." Quand je vous dis que j'étais pourri de confort...

Il était temps enfin d'agir, alors je n'ai pas perdu de temps, malgré mon unique heure de sommeil de la nuit précédente, qu'avais-je donc bien pu faire, j'ai branché mon pc de jeune riche à l'internet du coin. C'était pourtant simple, je ne connaissais personne, et je devais trouver un travail, un logement décent, une vie, et moi-même. C'est comme ça que j'ai eu mon premier contact avec Olivier.


"Aujourd'hui, j'ai rien fait
J'ai écouté les mouches voler
Dans leur vrombissement
Et leurs reflets merdeux d'argent
Là-bas, on ne s'ennuie pas.

Si je respire encore,
Je sais pas, peut-être je suis mort.
Je peux plus m'énerver,
J'ai à-peine la force de rêver,
Là-bas, tout va bien pour moi.

Je ne pense plus à mes parents,
D'ailleurs, ils n'avaient pas d'enfant,
Alors je peux pas être mort,

Avant de m'en aller,
J'ai appris qu'il y a des prairies
Où on peut galoper comme ça
Sans cesse, à l'infini,
Là-bas, comme au cinéma.

Depuis le fond de mon exil,
J'vous pisse à la raie,
Bien tranquille,
Là-bas, ne m'en veuillez pas..."

Noir Désir, Là-bas.



BO : The Fiery Furnaces, Duffer St George. Dans la tête, dans les oreilles, les tous premiers jours, à huit heures du mat dans la rue, à minuit au lit, dans D'Olier Street, sur Gardiner Street Lower, sur Bachelors Walk. Le soleil du matin, le froid de la journée, la première cigarette de la journée, ce qu'il me reste encore à faire. Suivez le guide.

Carla Bruni, Quelqu'un m'a dit.