vendredi 26 septembre 2008

Une bande originale

Lecteur, mon canard laquais, laisse-moi t'abreuver de cadeaux, de promesses de nouvel article prochain, de roses, de chocolats, de camélias, et surtout, de quelques impressions. Prends, ceci est mon corps, bois, ceci est la pluie. Tu l'auras compris, cette liste n'est que temporaire bien qu'exhaustive, et sera forcément mise à jour avec les articles qui suivront. (Oui, les mauvaises langues disent "dans huit ans, Antoine, Deezer, ça n'existera plus". Oui ! Mais dans huit ans, quand j'aurai enfin terminé de raconter mes sept premiers jours de création dans cette ville capitale que fut pour moi la Cité-Aux-Mille-Zelfes, eh bien, je trouverai un autre moyen.)

Le principe est simple : tu cliques sur la chanson que tu veux. Le but du jeu étant bien évidemment de lire les articles en n'écoutant que les chansons qui y correspondent. T'es grand, j'te fais confiance, tu mets pas les pieds sur la table.

Ces chansons m'ont suivi dans mon périple du début à la fin : d'un air dans la tête à une pulsation contre mon tympan salvatrice un énième jour de pluie, d'une chanson qui m'aime encore que j'entends sortir de mon téléphone, à peine installé dans l'avion, à d'autres dont les paroles ou la musique ont trouvé de curieuses résonnances dans ma caisse creuse, claire, crânienne, et du côté d'un muscle qui bat toujours. Quand encore aujourd'hui je réécoute ces chansons, j'ai toujours une pensée émue pour les trottoirs qui ne me firent pas fête un jour de janvier. Ecoutez, ceci est mon âme.







Découvrez Orkidhion!

mercredi 4 juin 2008

Self Barmaid


Note introductive : J’me permets de m’introduire. J’ai commencé ce blog il y a maintenant au moins deux siècles, et malgré tout, j’ai plus de souvenirs que si j’avais dix mille ans. Et pendant ce temps que je continue à vivre sur l’héritage irlandais (qui n’a plus rien de financier), la technologie change et évolue, mon bon lecteur. Il me faut donc faire aujourd’hui un petit changement. Toutes les pistes de la Bande Originale, si tu veux les écouter, tu les trouveras sur http://www.deezer.com, RadioBlogClub ayant décidé de rendre son tablier.

"The shit is maybe by my side,

Perhaps I’ll turn right and go, perhaps I will collapse

Nothing’s real, even true"

"J’y suis peut-être bien jusqu’au cou,

Peut-être que je vais m’en tirer, peut-être que j’vais en crever

Rien n’est réel, rien n’est vrai"

Self Mermaid, Orkidhion

B.O : Orkidhion, Self Mermaid (Celle-là, tu la trouveras probablement pas sur Deezer, n’hésite donc pas, fan que tu es, à me la demander en direct. C’est un groupe bulgare oublié des années 30, mais il vaut la peine. En plus, je connais un peu le chanteur, c’est un mec super sympa.)

Jacques Higelin, Tombé du Ciel, qui me tombe un soir dans l’oreille, inattendu, frais, plus rafraîchissant que la pluie qui m’abreuve le front, alors que je rentre à pied chez Olivier, seul. Tu l’auras compris, lecteur, c’était le week-end.

The Dresden Dolls, Lonesome Organist Rapes Page Turner, éternelle.


Chapitre 1

« Votre mission, et vous l’avez acceptée dès le premier jour, est de vous plonger le nez une bonne fois pour toutes dans ce bol bizarre qu’on appelle la vie, et vous êtes prié de faire vos preuves. Vous avez fui et cherché à l’éviter pendant trop longtemps. Evidemment, si ça tourne mal, nous nierons formellement avoir eu connaissance de vos vagissements. »

Ca fait déjà quelque temps que je mène mon bateau comme je le peux, au gré des vagues (le nom, pas encore l’adjectif) qui ne m’épargnent rien. Je sais, copain lecteur, tu es attentif et intelligent, tu me tires l’oreille en me disant « Ca va, on sait déjà tout ça, tu l’as dit dans l’article précédent, même que tu t’es arrêté au moment où tu te retrouvais en plein dénuement, rappelle-toi. T’as une anecdote croustillante à base d’Irakien à raconter, là. » Oui, oui, ne t’offusque pas, moi, je ne fais que respecter le contrat qui dit « Ceci est un journal de bord d’un voyage qui a été initiatique et balisé de symboles très forts que j’crois pas vraiment en Dieu mais merde, comment s’appelle ce qui joue avec mon sort comme ça ? ». Donc, je reviens un peu en arrière, pour que tu connaisses un peu mieux ma vie en détail, rappelle-toi, tu m’as reproché de ne pas avoir parlé de moi dans l’article précédent. Ecoute.

Une formule me souffle « Je n’crois pas-t-au destin, MAIS y a des signes qui troublent », sur le même ton que « J’suis pas raciste, MAIS y a des trucs que c’est abusé, dont l’existence des Noirs ». Moi, j’y reste résolument sourd : je suis pas venu ici avec mon couteau et je ne sais quoi apprendre à être libre tout seul pour m’en remettre à une force invisible et fictive, qu’elle fût Dieu, le Destin, l’Être Suprême, La Bite à Dudule. Et pourtant…

Les jours usent le bitume marron des dalles dublinoises, et malgré les frasques rupestres d’Olivier, une routine s’installe, à mon plus grand dam de rêveur. Ne me laisse pas mécompris (« don’t let me be misunderstood ») : la routine, j’en rêvais, c’est juste que la mienne était celle du chercheur forcené d’emploi. Malgré ses écarts-type imprégnés d’éthylène et d’excès divers, (sa partie Mister Hyde qui émerge le vendredi soir et s’endort le dimanche soir), le reste du temps, Olivier est un paisible travailleur (sa partie Docteur Folamour, parce que la bombe n’est jamais très loin) qui n’a même pas le mauvais goût de picoler le soir en rentrant. Notre vie de couple commence à tourner. Olivier se lève le matin et va bosser complètement dépenaillé, (sans un salut ou un adieu, juste un regard à peine moyen) et moi, je me lève un peu moins tôt, fais le petit déj à nos beaux enfants puis les dépose à l’école, vais chercher du travail, refile mon cv, passe ma journée à mentir et à dépenser de l’argent, me fais encore huit ulcères gastriques, fais les courses, et parfois le ménage.

Parenthèse rigolote : Ca fait environ trois semaines que j’ai emménagé dans la partie basse du lit d’Olivier (oui, par terre, si tu préfères), et je décide, dans cet antre infernal (pourtant, j’ai gagné tout Espoir en Entrant), de faire un vrai ménage. Quelques générations de fennecs y sont sans doute mortes intoxiquées par des tribus d’Inuits, à en juger par l’odeur. Armé d’une éponge, je fais la vaisselle, astique consciencieusement les meubles qui protestent, découvre que quelques-uns étaient blancs à l’origine, puis m’attelle à une tâche infiniment plus ambitieuse : je collecte toute la vaisselle cachée et oubliée par Olivier après un bon repas dans sa chambre, pour la nettoyer et la restituer dans un état décent. Dans le placard à fringues, je fais une découverte : d’antiques restes de nourriture datant du Paléolithique. En bon médecin-légiste, j’analyse les restes pour déterminer la date de la mort : quelques os de poulet, quelques reliques de chips au fromage qui ont viré Roquefort, et un cristal de mayonnaise naturellement formé sur le bord d’une antique assiette. Et un détail me chiffonne terriblement, à me faire rire : au milieu de l’assiette, se trouve une tranche de pain. C’est une tranche de pain de campagne aux céréales.

En trois semaines, je peux jurer qu’on n’a jamais mangé de ce pain-là. Conclus toi-même…

Ensuite, comme tu le sais déjà, je suis le seul détenteur de la clé, donc je rentre une fois la bataille sur le marché du travail terminée pour la journée, histoire qu’Olivier, à la sortie du boulot, ne se casse pas la nez sur la porte. Les agences d’intérim et de placement ferment dès qu’il fait nuit, soit vers 17h. Je prends quasiment mes habitudes quotidiennes au même cybercafé et tire tous azimuts, espérant qu’une balle perdue atteindra une noix de coco qui soit moins pourrie que les autres. Dans l’idéal, j’aimerais bien décrocher un gigot, mais faut pas déconner. A-côté de chez Olivier, à environ 1 km à pied, je me rends tous les jours quelques heures dans un cybercafé pour avoir accès au net. Je l’ai déjà dit, mais le prix d’Internet est dérisoire comparé au prix français, donc j’y passe en moyenne deux heures par jour.

Parenthèse rigolote : je l’avoue, mon cybercafé préféré parce que quotidien est à tendance plutôt marrante. Il est tenu par des Sénégalais qui sont tout le temps au téléphone à s’engueuler gratuitement, ils commencent leurs phrases en français roulé, et les terminent en wolof. Çà et là, quelques insultes en français. Au moment de payer, ils lèvent le nez de leur conversation animée, vous regardent négligemment et disent avec un accent qui ne trompe pas le Normand que je suis : « Tou you’oz ». Je donne ma pièce.

Perchée dans un angle de la pièce, une télévision qui diffuse, lecteur, ma bêtise de Cambrai au miel, je le jure, l’émission Questions pour un Champion. Aussi, l’idée d’avoir mon Julien Lepers quotidien me réjouit, ici, à Dublin, étrangère encore grisâtre. Je me cale dans la pièce sur un pc équipé d’Internet Explorer et de Windows 95, entre deux ados boutonneux et populaires qui viennent choper d’la fouine sur MSN et faire des plans cam pour exhiber fièrement leur dernière cicatrice chopée à la guerre, c’est-à-dire la dernière fois qu’ils se sont vautrés en chiotte.

Je consulte les nouvelles offres d’emploi et bombarde la moitié du monde de cv et de cover letters : la cover letter, c’est une très brève présentation de soi en tant qu’employé. En France, on a encore l’élégance ou l’hypocrisie, je ne sais pas, de demander une lettre de motivation, donc un minimum de mise en forme, une goutte de sincérité, quelques centilitres d’orthographe, on s’habille bien pour rédiger la lettre, on sourit, et comme ça, c’est bien. L’Irlande, à l’image des autres pays anglo-saxons, a l’esprit définitivement et désespérément beaucoup plus pratique. A l’image de la langue qui est ultra-synthétique, l’Irlande ne s’embarrasse finalement que très peu de formalisme qui confine à l’hypocrisie, énorme paradoxe vu la morale religieuse qui y règne moins en Maître qu’en Dieu. Vous reprendrez bien une contradiction ? Pas besoin d’ambages pour te présenter avec ta motivation, on préfère tes qualifications brutes, et néanmoins, si t’es engagé, t’as intérêt à rafraîchir tous les jours ton dynamisme d’entreprise, aiguiser tes sourires pour tes collègues qui sont forcément tous sympathiques, et surtout, il faut faire des miracles (c’est l’influence catholique, ça) de travail en équipe : l’équipe qui a fait le plus de chiffre de la semaine est récompensée : on la lâche dans un pub et c’est open bar toute la nuit. Sympa, nan ? Si, allez, quand même… Bon. Bref.

Il faut que j’avoue une chose, cher lecteur. J’estime aujourd’hui que j’ai une chance terrible, parce que vu la gueule de mon cv (malgré les trois mensonges que j’ai casés maladroitement avec le coude), je ne vois rien du tout qui serait un minimum séduisant pour un employeur.

Aujourd’hui, comme j’ai refait mon cv et qu’il a la classe, la vraie, que je sais que je ne referai plus jamais de cover letter comme la mienne, j’ai réussi à faire le deuil de ma honte. Donc, je publie ici mon cv et ma cover letter. Lecteur, mon tapir moussu, ne fais jamais ce que j’ai fait (en rouge, des gros mensonges, mais pieux) :

Antoine XXXXX

29 Phoenix Manor

Blackhorse Avenue

Dublin 7

Tel : 0857053726

Email : ant.XXXXX@gmail.com

French nationality

SKILLS AND QUALITIES :

Ø Computer operating systems like Windows 98, 2000, NT,XP

Ø Software like MS office, Mozilla firefox

Ø Language skills (spanish, english, French)

Ø Teamwork: excellent relationship and listening skills

EMPLOYEMENT :

Ø Summer 2004 : driver during the commemorations of the 60th anniversary of the D-Day Landing in Normandy for the company Biribin Limousines.

Ø Summer 2005 - 2006

-four months: waiter in restaurant mille sabords

Ø Summer 2000 to summer 2004

-Grapes picking in Champagne four times

Ø Years 2004-2006

- Part-time job : Employed in Basic Informatique, Cherbourg, in customer phone service

EDUCATION :

Ø 2004-2006 : Years of formation for the French Capes, in order to become an English Teacher.

Ø 2002-2004 : bachelor’s degree in English with an extra course of Spanish

Ø 2000-2002 : Two years in a preparatory school with a specialisation in English

Ø 2000: High School Diploma

REFERENCES :

Ø bachelor’s degree in English school: university of Rennes II : Mr Dickason (director of studies)

Ø Employment: waiter: Mr Poisson (manager)

Ø Employment : Grapes picking in Champagne: Mr franquet

PERSONAL INTERESTS

Ø Music : playing the guitar and singing in a rock band

Ø Reading, writing.

Ø Internet, multimedia.


Attends, arrête de rigoler deux minutes, maintenant, j’te montre ma cover letter, garde un peu de pipi :


My name is Antoine XXXX,
I am French and I live in dublin7.
I know MS office, Windows and Internet and I look for a job in call centre

I can learn the job and I like to work in team
my address is 29 phoenix manor
Blackhorse avenue
Dublin 7
my phone number is 0857053726
my email is ant.XXXXX@voila.fr
please feel free to call me or send me an email
regards
Antoine




Si je vous dis que ce texte court a été rédigé par quelqu’un qui avait étudié l’anglais pendant 8 ans, vous me croyez ? Et encore, j’aurais pu dire qu’il avait été mis en page par quelqu’un qui se voyait « pourquoipasgraphiste ». C’est comme « pourquoipasastronaute », mais en pourquoipasmoinsambitieux, tu vois. Avais-je seulement envie de bosser ? Oui, évidemment, mais là, je vois pas trop ce que j’aurais pu obtenir. Allez, si, il faut avouer que mes collègues français ici à Dublin, dramatiquement nombreux, tels des sales immigrés qu’il faudrait renvoyer dans leur pays, ma bonne Siobhan O’Callaghan, se démerdent encore plus mal que moi en anglais. La plupart d’entre eux arrive déjà en ne sachant pas forcément parler un français terrible. Seulement, sur ma cover letter et mon cv, ça crève pas les yeux d’un roux que je suis calé en anglais.

Pour un français de souche comme moi, les opportunités ici sont assez nombreuses, ça peut aller du serveur dans les pubs (que j’aurais tellement aimé qualifier d’enfumés, mais je suis arrivé deux ans trop tard) malodorants (ça, je peux), à agent de réservation pour des entreprises comme Hertz basées à Dublin. Dublin étant une ville très tournée vers l’étranger et la communication multilingue, les opportunités pour les étrangers sont foison. Aussi, devant le large panel, je commence à ratisser tranquillement. Je postule aux call-centers d’Hertz, refile mon cv à Olivier censé le faire passer chez IBM, et me trimballe toujours avec des cvs sur moi, car oui, je les refile à des français actifs rencontrés dans les pubs pendant le week-end, autour d’un verre, que je ne connais que depuis deux minutes trente. « Tu fais quoi ? Ouais ? C’est bien ? Y a de la place ? Je pourrais te refiler mon cv pour que tu le transmettes ? » Je me ménage le plus grand nombre de râteliers pour pouvoir bouffer à tous.

Le mien, de contrat, je le définis clairement. Pour empocher la victoire totale, le combo de la Mort, ces trois points seront à combler :

- Se trouver un appartement

- Gagner un salaire de plus de 1000 euros par mois

- Vivre

Un jour, sur un site d’offres d’emploi, je découvre une annonce qui me fait rêver. Rien que parce qu’elle est trop idéale, je commence par ne pas oser y répondre. C’est marqué :

« On recherche un testeur de jeux vidéo, pour contrôler le texte dans un jeu.

Vous avez besoin des qualités suivantes :

- Être un sale feignant de joueur de jeux vidéo et être expérimenté, ça serait un avantage définitif.

- Être un sale connard psychorigide sur l’orthographe et être le pire maniaque névropathe de la grammaire française.

- Vous appeler Ant RiciJeanMoulin.

Vous serez vachement bien payé, parce qu’on est une boîte cool, qu’on paie le café et que vous jouez à la console toute la journée, sauf qu’en plus, vous êtes payés pour. »

C’est trop beau. Je n’ose pas. Et puis merde, j’ai vraiment besoin d’un boulot, pourquoi pas celui-là, après tout, sachant que je rêverais de faire celui-là ? Allez. Sans aucune conviction de peur d’être cruellement déçu (je suis trop accroché à mes rêves parce qu’à ce moment-là, ils sont les seuls à pouvoir me faire tenir debout), je rédige rapidement une note de présentation témoignant sans mentir ni tricher de mon lourd passif de joueur et à ma manie pathologique de ne faire aucune faute d’orthographe. Aucune réponse. Rapidement, j’oublie cette annonce. C’était juste un beau rêve. Tant pis.

Et finalement, je décroche trois entretiens, seulement trois, mais ils seront déterminants, essentiels et symboliques, voilà pourquoi il faut que je les raconte, d’autant qu’ils se sont passés exactement comme ça.


Chapitre 2

Premier entretien. Durant un après-midi grisaillant dublinois, mon téléphone sonne, c’est un numéro que je ne connais pas, alors que je rentre de mon bistr…cyber préféré (pas celui avec Chabrol, Renaud, Bobby Lapointe, Ferré ni Brassens, mais celui avec Julien Lepers, Youssou N’Dour et peut-être, caché quelque part, Léopold Sédar Senghor). Hourra ! Terre ! Terre ! Aiguisez les machettes, les mecs, on aborde ! C’est un entretien, ENFIN. Je suis pris d’un doute terrible, celui de tout chercheur d’emploi étranger à Dublin : Est-ce que je vais comprendre ce qu’on me dit ? Loin de moi le Labo de Langues et ses cours sur le développement économique du Congo par un reporter de la BBC, là, je ne tire plus à blanc. Fébrile, j’ai beau être dans la rue, je décroche :

“Mr XXXX ? Cane I ‘ave an interviou wiz you ? I am working for Hertz, and we ‘ave received your cv.” En une seconde, je repère cet accent unique : je suis en train de parler à une française qui tente de parler anglais. Première surprise, tiens. Elle a l’air de tenir fermement à parler anglais. Evidemment, pas dupe, je force mon accent pour être damned crédible et montrer ma super motivation et mes beaux diplômes en anglais. Voici donc l’entretien, traduit par mes premiers soins :

« Oui, bien sûr.

- Ok, alors allons-y. Vous pourriez nous parler de votre parcours ?

- Tout à fait, alors voilà, j’ai suivi des cours quand j’étais petit, j’ai appris à lire, etc.

- D’accord, je vois. Vous être ici pour combien longtemps ?

- (Mode menteur ON) Oh, je ne sais pas. A la base, (« basically »), je suis là pour trouver du travail, donc tant que j’en aurai, je n’ai aucune raison de partir. En fait, je pensais rester ici minimum deux ans, mais pourquoi pas plus ? En plus, j’ai très envie d’améliorer mon anglais.

- Well, vous comptez gagner combien argent par mois ? I mean, vous planchez sur combien ?

- Oh… Je ne sais guère… (Je me remémore rapidement les mots d’Olivier : « C’est la ruine si t’as moins de 1700 nets, ici. ») Je dirais environ 1700 euros, ça me semble bien pour vivre tranquillement.

- Je vois… Vous comptez mettre de l’argent de côté ?

- Oui, pourquoi pas ? Mais à vrai dire, ça n’est pas ma motivation première.

- Quelle est-elle ?

- (Mode Broderie-avec-des-conneries-bateaux-parce-que-pris-au-dépourvu-un-peu ON) Eh bien, gagner assez ma vie pour vivre ici, améliorer mon anglais, mettre un terme à la guerre en Irak, et combler le déficit de la Sécu.

- D’accord. Eh bien, il faut que je vous avoue une chose. [Ca me fait drôle de parler anglais avec une française et cet accent terrible, j’ai l’impression de faire un jeu de rôle, là, j’ai du mal à le prendre au sérieux.] J’ai lu votre cv, et il est intéressant pour nous. Vous avez de bonnes qualifications, seulement voilà, le poste que je vous propose comporte deux problèmes : D’abord, vous évoluerez dans un milieu complètement francophone, puisque vous serez opérateur pour le marché francophone, et ensuite, vous visez un bon salaire alors que je ne vous propose que 1200 euros net par mois. Vous ne pourrez pas mettre d’argent de côté.

- (PANIQUE ! PANIQUE ! Je suis en train de perdre le boulot, là, j’ai mal répondu, meeeerde, j’aurais dû préparer, putain, quoi.) Ahaha, mais non, voyons, je m’en fous, de l’argent, et puis, j’avoue un truc, je cherche d’abord un travail, moi, je prendrai tout ce qui viendra, j’vous jure ! Je suis le meilleur employé possible, je sais même faire le café et j’apprendrai les photocopieuses !

- Ecoutez, monsieur XXXX, me dit-elle enfin, switchant en français, je vous propose une chose : vous avez mon numéro, alors ce que vous allez faire, c’est réfléchir soigneusement avant de signer le contrat. Si jamais vous souhaitez réellement vous faire chier dans le boulot de merde que je vous propose, alors rappelez-moi, et c’est ok, on vous engage. »

Ce premier entretien (deuxième, en fait) me laisse un peu sonné. J’ai été pris ? J’ai pas été pris ? Et s’il fallait que je réfléchisse non à la proposition mais à la chance qu’elle me laisse, cette recruteuse charmante ? Suis-je prêt à tout pour avoir n’importe quel job ? Je prends ma première leçon de philosophie. Elle a raison, je pourrais faire ce truc, mais j’y mourrais au bout de trois semaines, même avec la motivation du salaire. Et puis merde, je suis arrivé avec de belles idées sur la fin et les moyens, et déjà, je perds mes moyens. Je me raccroche pendant un temps à cette porte que je veux toujours ouverte pour me rassurer, mais je ne suis pas dupe, je sais bien que je ne rappellerai pas, parce que je veux croire qu’elle m’a laissé la chance de faire autre chose.

Deuxième entretien. Autre jour, même lieu et quasi même moment. Ce coup-ci, une vraie irlandaise, qui dit « Nice », « Grand » et « Lovely »à chaque réponse.

« Mr XXXX ? Entretien ? Je travaille pour Sjdsnjhuebning.Inc.

- Oui, tout à fait.

- Vous avez marqué sur votre cv que vous aviez fait standardiste pendant deux ans dans un magasin d’informatique, expliquez-moi.

- (Meeerde… Le mensonge a marché, elle ne veut même pas entendre parler des vrais trois boulots occasionnels que j’ai réellement exercés. Alors je dois improviser un gros mensonge que j’avais commencé à étoffer, et en même temps, soigner la qualité de ma langue… Je foire misérablement à jongler.) Eh bien, en fait, je m’occupais de les clients que je les accueillais, je leur disais bonjour, mais il pleut aujourd’hui, où ai-je mis mon ombrelle ? Et je leur donnais du conseil et de l’information pour que les achètent mon ordinateur et je répondais quand le téléphone sonnait derrière mon compt…compt…bar de réceptionniste, vous voyez.

- Ok, bon, vous devriez prendre des cours d’anglais, et puis nous rappeler, d’accord ? Merci, au revoir. »

Là, j’étais recalé pour mensonge et surtout, pour la qualité de mon anglais que je pensais plutôt acceptable. Eh merde.


Troisième entretien, encore un coup du destin, du sort, et un peu de ma bêtise personnelle. Mon cv a fini par tomber devant les yeux d’un recruteur qui bosse pour IBM.

« Mr XXXX ? Oui, vous nous avez envoyé votre cv pour postuler chez IBM, non ? » Encore un français qui parle un anglais. Un peu meilleur, mais toujours autant reconnaissable. Les recruteurs français parlent toujours un anglais grammaticalement parfait, mais avec un accent à couper au couteau à beurre, tu vois.

« Tout à fait, j’aimerais beaucoup rentrer chez IBM (pour y gagner 1700 euros par mois, ne rien foutre de la journée selon les dires d’Olivier, avoir surtout un accès au net) parce que vous êtes une entreprise très reconnue et que j’adore le téléphone, personnellement.

- D’accord. En effet, j’ai regardé votre cv, et il est plutôt intéressant. En plus, vous parlez un bon anglais. (Faudrait savoir !) Alors voilà, on va vous convoquer avant de vous faire signer un contrat, pour avoir un entretien en face à face. Ca vous va ?

- (ET COMMENT ! Je vais enfin être embauché, gagner mon argent, avoir mon appartement, vivre tout seul comme un grand et toucher un pur salaire de 1700 euros par mois net, je ne vais pas bouder mon plaisir !) Eh bien, tout à fait, on signe où ? A côté de la signature « Satan » en bas du contrat, ou en bas ?

- Ah, par contre, il faut que je vous prévienne : je n’accepte de donner votre cv à IBM que contre un engagement formel de votre part de signer pour AU MOINS 11 MOIS. »

Jusque-là, pas de souci. Ca marche par mensonge, non ? Et pourtant…

A ce moment, au moment pile où je n’ai qu’à dire « Ouiiii, bien sûr ! » en croisant mes doigts dans mon dos, je ne dispose que d’une seconde, une ultime seconde entre le mensonge pieux, carriériste, ou la vérité qui me renverra dans une chambre d’auberge de jeunesse. Et putain, destin, encore toi, je ne sais pas ce qui me prend. Je m’étais entraîné à mentir, pourtant :

« Euuuh… En fait, il faut que je vous avoue, j’avais pensé à rentrer pendant la période estivale, mais juste pour quelques vacances, hein, après, je reviens, et tout.

- Bon. Ben déjà, je sens venir le coup, je vais être clair, je ne vais pas transmettre votre cv. Vous voyez, je travaille pour CPL Recruitment, si nous, agence, on donne à IBM des gens pas fiables, après, ils veulent plus passer de contrat avec nous, alors l’agence ferme, on se retrouve à la rue, et on mange du cassoulet froid sous les ponts. Vous comprenez ?

- (Je comprends parfaitement que moi, pauvre sans-carrière, sois la clé de voûte de la réussite économique ou de la banqueroute de CPL Recruitment, Recruitment Since 1876.) Ouiiiii, mais par contre, j’suis un super employé, franchement, demandez à mon père, j’vous jure que je reviens, merde, qu’est-ce qui m’a pris de pas réussir à mentir, putain ?

- Ecoutez. Réfléchissez, et rappelez-moi si jamais vous prévoyez autre chose, d’accord ?

- Attendez ! Je sais que IBM, ça veut dire International Business Machine ! »

Trop tard.

Je tremble de rage. Mais quel connard ! Pourquoi j’ai pas menti ? Ca fait trois semaines que je raconte un emploi fictif. Pourquoi est-ce que là, j’ai pas été foutu de répondre « Oui. » à la question « Voulez-vous épouser la mariée qui est moche et qui pue des amygdales ? » ? Et quand, dépité, je le raconte à Olivier, il rigole pendant dix minutes sans pouvoir s’arrêter devant l’énormité de la chose.

C’est décidé. Il faut que je rattrape le coup. En plus, le boulot d’IBM me faisait rêver. Pas pour m’épanouir, bien qu’Olivier me prouve que même chez IBM on peut se faire une bande de potes, mais parce que le salaire me paraît énorme, et devant le déficit qui commence à se creuser dans mon compte en banque d’oisif, je stresse un peu plus chaque jour, je crains que chaque retrait d’argent soit le dernier. Je rappelle le lendemain.

« Bonjour, c’est moi, je vous rappelle parce qu’en fait, j’ai bien réfléchi, oui, je m’engage pour onze mois, c’est comme vous voulez, en fait, j’ai très envie de ce travail.

- Ecoutez, je pense que vous vous foutez de ma gueule, je vous l’dis amicalement, hein. En attendant, je garde votre cv. Si jamais je trouve un job qui ne dure que trois mois, je vous appelle sans faute, promis. Alors bon courage dans votre recherche de travail. »

(Rires d’Olivier…)


Chapitre 3


Février 2007, premier mois à Dublin. Et toujours pas de travail. Je commence à baliser sévère. Mon argent fond à vue d’œil, d’ailleurs, ça fait longtemps que je ne recherche même plus d’appartement (eh oui, mon pauvre lecteur, ma bichette en rillettes du Mans, ça fait autant d’anecdotes en moins à raconter), puisque je n’ai plus assez d’argent depuis longtemps. Et voilà qu’au bout de mon premier mois quasi-pile, Olivier rentre en France et lâche son home, sweet home.

Et me voilà, un jour sans sommeil, exténué, moralement éprouvé, assailli des pires doutes. Je suis trop mauvais. Ça fait un mois que je suis ici. J’ai foiré tous mes entretiens. J’ai été nul. J’y arriverai jamais. I’m a creep, I’m a weirdo, what the hell am I doing here ? I don’t belong here (Je suis une merde, je suis un paria, qu’est-ce que je fous là ? Je suis pas à ma place ici). Il pleut dehors. Je viens de réintégrer Abraham House, auberge de jeunesse, mais pas dorée. Je suis humide de la pluie. Je vais pas m’amuser à étaler le contenu de mon éternel sac qui repèse quinze kilos pour prendre une douche. J’ai froid. Je suis sans emploi. Je n’ai plus d’argent. Personne ne m’aime. J’ai faim. Je sais pas où je vais manger ce soir, ni comment. Olivier parti, je ne connais pas grand-monde. Ses potes, mais vont-ils m’intégrer, ou vont-ils m’oublier ? Je ne sais pas où je vais dormir demain soir. Je ne suis pas, plus chez moi. Je suis seul.


J’arrive dans le dortoir au milieu de l’après-midi, vers 16h, perdu, pensif, bourré de complexes, de doutes, de pluie. Je me croyais seul, et pourtant non. Un bruit de réacteur de Concorde attire mon attention. Il y a un mec qui dort dans un des lits du dortoir. A en juger par la taille de la bosse de sa couverture, il vient pas du Biafra/Chine/Corée du Nord/Somalie. Et ce con ronfle incroyablement fort. Voilà le coup d’arrêt à mon moral. Un gros mec qui ronfle, un temps de merde, et une vie terriblement vaine qui n’a rien donné jusqu’ici. Rentrer en France ? Pourquoi faire ? Je n’y pense à vrai dire pas, tant la question pèse lourd. Et tout est rythmé par la cloison nasale (j’imagine même pas la taille de son nez, vu le son) d’un tertre qui sommeille à un mètre de moi. Alors que je me débats dans mon désespoir, la butte endormie grogne, bouge, et finalement se réveille. Le mec descend de son lit, et fait quelques pas sur la moquette désespérément sale de la chambre. Il remarque ma présence. C’est le sosie de Maradonna, sans déconner, mais Maradonna après sa huitième overdose, vous voyez. Il est vêtu en tout et pour tout d’un slip australien (kangourou, pas boomerang) un peu blanc, un peu jaune. A première vue, il a mal dormi, puisqu’il a le blanc des yeux jaunâtre. Tiens le coup, Antoine, c’est qu’un moment bizarre à passer. Dublin te déteste, mais serre-la fort, oblige-la à t’aimer, accroche-toi, mon petit.

Le premier truc qu’il me dit, c’est :

« J’ai mal dormi. Pas bien dormi. Parce que les autres ont pas arrêté de me réveiller.

-Ah bon ? Comment ça ? (Même désespéré, je suis poli.)

- Ils ronflaient. »

Je sais que je tire une gueule de trois mètres de long tellement cette réplique achève mon espoir vacillant, et pourtant, pourtant, loin au fond de moi, j’éclate de rire. Il y a de l’espoir…